La gay pride et le jeu infantile de la démolition
Qu’on ne s’y trompe pas : la « Marche des fiertés lesbienne, gay etc. » (en principe, la liste devrait être infinie, autant que faire peut le corps du désir, lequel est ouvert à tous les fantasmes, à toutes les fantaisies) n’a affaire que lointainement avec la bisexualité, par exemple, des Grecs. Rappelons brièvement que les Anciens, comme Platon, le plus emblématique en la matière, prônaient la pudeur, la discrétion, une certaine ascèse du plaisir, jusqu’à le sacrifier au nom de valeurs transcendantes, et réprouvaient très sévèrement les efféminés, la débauche et la sotte ostentation sexuelle. Ils n’étaient pas prudes, mais pudiques.
L’affichage dans la sphère politique de ses goûts, quels qu’ils soient, en matière sexuelle, mais aussi dans le domaine alimentaire, heurte la tradition civique de la civilisation européenne, qui a réservé l’exercice public à tout ce que nous avons de commun, et à tout ce qui regarde la destinée collective de la communauté. Or, ici, il s’agit d’une immixtion violente de la dimension privée dans l’univers public. Les préférences individuelles dans l’ordre (ou le désordre) de l’érotisme deviennent des options politiques, comme l’adoption d’une constitution ou le choix d’un programme économique.
Un esprit libre, dégagé des préjugés, se gardera de condamner l’homosexualité. Non pas seulement parce que de grands esprits, aux quels nous nous référons volontiers, ont partagé ce goût, et l’ont même trouvé normal, mais parce que, dans une période où le puritanisme bourgeois sévissait, des caractères réfractaires, comme Oscar Wilde par exemple, ont pratiqué ce que Baudelaire nommait l’art aristocratique de déplaire.
Evidemment, la revendication homosexuelle, ou bisexuelle etc., est devenue maintenant tout ce qu’il y a de plus bourgeois, de plus plat et conformiste, de plus cucul en guise de « rebellitude », (et ne parlons pas du droit à se marier ! Qu’y a-t-il de plus « bourgeois » !). Il n’est qu’à voir ces troupeaux grotesques déambuler, comme à l’estive, suivis par leur cohorte de poissons pilotes médiatiques, et généreusement nourris de subsides publiques par des pouvoirs qui lorgnent sur les élections, et ont plus de considération pour des bobos travaillés obsessionnellement par leur libido, que par les ouvriers licenciés ou les chômeurs en détresse. Cela fait longtemps par exemple, comme l’a revendiqué récemment cet abject cercle de réflexion qu’est Terra nova, que la gauche a abandonné le peuple et la lutte de classe, pour s’attacher uniquement à des préoccupations culturelles touchant les classes moyennes.
Le libéralisme, comme l’a bien montré Jean-Claude Michéa dans ce petit livre redoutable qu’est « L’empire du moindre mal », tend à supprimer l’espace public, le politique, au profit d’une simple gestion mécanique et techniciste des flux humains. Toute question civique doit se traduire dans le Droit, et il n’y a pas de limites à l’expression des droits, puisque les désirs sont dépendants de l’imaginaire et varient indéfiniment. Les liens des revendications hédonistes avec la logique, publicitaire et consumériste, sont frappants. Dans les deux cas, l’expression des pulsions, et le désir immédiat de les satisfaire, suffisent à en octroyer la légitimité. Notre monde est celui de l’enfant qui refuse de grandir, de murir. Le pouvoir apprécie d’avoir en face de lui ce type humain, qui élude les vraies questions politiques au profit de satisfactions égoïstes. La gay pride relève par là de l’emprise totalitaire sur la société.
Car le monde de Big Brother se nourrit d’abord de confusion, celle qui naît d’abus et d’inversions de langage, de vocabulaire. On prend par exemple la notion de liberté, qui, traditionnellement, dans toutes les sociétés qui nous ont précédés, se fonde sur l’idée de sacrifice, d’ascèse, de combat contre les penchants à la servitude que chacun porte en soi, et on l’accole au pire esclavage qui soit, celui du corps et de ses pulsions, pour définir ce que doit être le politique. La bêtise qui consiste par exemple à inscrire dans le code du mariage l’union entre personnes du même sexe relève de cet embrouillement. Le mariage n’a jamais été conçu, sauf dans la société contemporaine, où le chaos s’est instauré, comme l’aboutissement et l’assomption du désir sexuel, même si, bien évidemment, dans notre société, qui a toujours accordé aux femmes un statut de personne, l’ « inclination » (comme on disait au XVIIe siècle) était prise en considération. Mais cette institution, sacralisée par l’Eglise, qui est l’héritage du monde antique, relevait de la reconnaissance par la société de sa fonction sociale, culturelle, et biologique. Le mariage, en effet, est l’officialisation d’un lien, d’une union entre deux familles, d’une unité sociopolitique, et l’assurance que la société est destinée à perdurer au-delà de la mort. Il n’est pas anodin que la nôtre tende à reconnaître des unions qui, par la force des faits, ne peuvent aboutir qu’à la stérilité. N’est-elle pas une société de la mort ?
C’est pourquoi il faut saisir ce qui est en jeu. Par ces revendications, le système continue son jeu de déconstruction, de destruction des repères. Le but est de créer un nouvel être humain, détaché de tout « ordre », de toute normalité, afin de le livrer au libre jeu du chaos, et le réduire au pire esclavage qui soit, celui du caprice.