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Une ministre, une rentrée, quatre inconnues
Marie-Christine Tabet |
Politique
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Légitimité, rythme scolaire, refondation, confiance des enseignants : les défis qui attendent la première femme ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem.
Et maintenant, Najat Vallaud-Belkacem va devoir dompter le mammouth… De Claude Allègre à Vincent Peillon en passant par Xavier Darcos, la plupart des ministres de l'Éducation y ont perdu leur latin et surtout leurs nerfs. L'animal est rétif. La jeune femme de 36 ans diplômée de Sciences-Po n'a pas le cuir politique aussi tanné que ses prédécesseurs. Et pourtant, sa promotion éclair vient de l'inscrire dans l'arbre généalogique de Jules Ferry. Elle devient la première femme de la lignée. L'ancienne ministre des Droits des femmes, ex-porte-parole du gouvernement, se retrouve à la tête de cette administration pachydermique de plus de 840.000 enseignants et 12 millions d'élèves, et pilote désormais un budget de 63,4 milliards d'euros… Les professeurs effectuent leur "prérentrée" dès lundi matin, et les élèves débarquent mardi dans leur classe. Quant à la ministre, elle a déjà sur son bureau l'énoncé des quatre équations qu'elle aura à résoudre dans les prochains mois…
1/ Ajuster son image
Depuis deux jours, la nouvelle ministre, très sollicitée, a surtout verrouillé son plan de com. L'opération séduction devrait se décliner en trois interviews : la première, dimanche au 20 Heures de TF1 (voir encadré), pour rassurer les familles, avec un message simple, elle n'est "pas une Khmer rose", la dangereuse idéologue fustigée par la droite. Lundi, elle participe à la matinale de France Inter et répondra aux questions du Monde, pour s'adresser cette fois à travers leurs médias favoris aux enseignants… Dès jeudi, elle a rencontré discrètement les représentants des différents syndicats ; samedi, elle a fait un saut à La Rochelle ; lundi, elle recevra les fédérations de parents d'élèves…
La jeune ministre doit assurer habilement son passage du ministère "militant" de la cause des femmes à une administration somme toute assez conformiste. Pour l'instant, elle a d'ailleurs conservé la plupart des conseillers de Benoît Hamon, dont son directeur de cabinet, Bertrand Gaume. "Ce n'est pas une alternance", justifie-t-on dans son entourage. À Matignon, on l'a incitée à se défaire de ses conseillers "trop marqués". Ses origines marocaines, son engagement en faveur du mariage pour tous et son dispositif sur les "ABCD de l'égalité" font d'elle une cible politique. Ces ABCD, en réalité une simple valise pédagogique testée dans 600 classes en 2013 pour venir à bout des préjugés filles-garçons, sont devenus un symbole pour certaines associations catholiques et musulmanes. Celui d'une "infiltration de l'école par les mouvements homosexuels militants". L'expérimentation a été arrêtée avant l'été, mais les attaques personnelles continuent. Des sites affirment qu'elle aurait troqué le prénom de Claudine contre celui de Najat par… opportunisme. Vraie-fausse carte d'identité nationale à l'appui. À tel point que SOS racisme fait circuler une pétition pour la défendre.
2/ Trouver le bon rythme scolaire
La fronde s'organise dans les campagnes. Les "gilets jaunes", mouvement contestataire inspiré par la jacquerie bretonne des "bonnets rouges" contre l'écotaxe, ont ressorti leur tenue de combat. Ils veulent avoir la "peau" du décret Peillon du 26 janvier 2013 sur les rythmes scolaires. Ce texte modifie l'organisation du temps scolaire (quatre jours depuis 2008) dans le 1er degré avec une semaine de cours de vingt-quatre heures lissées sur cinq jours, des journées raccourcies et complétées par des activités périscolaires communales. Pendant des mois, la France s'est déchirée sur la question. D'autant que l'organisation et le financement de l'opération se révélaient complexes. Vincent Peillon avait rapidement dû prévoir une aide (50 euros par enfant) pour calmer les maires… Un montant majoré de 40 euros pour les communes les plus pauvres. Lors de son discours de politique générale, Manuel Valls a assuré que le dispositif serait reconduit. Au printemps, l'éphémère prédécesseur de Najat Vallaud-Belkacem, Benoît Hamon, avait assoupli le décret originel en permettant aux communes de rassembler les fameuses activités sur une seule demi-journée… Le climat s'était apaisé.
Les opposants comptent sur ce changement de ministre pour tenter un nouveau coup de force. Les maires de quelque 3.000 communes rurales affirment être entrés en résistance. "Dans la Loire, nous avons 12 communes qui n'ouvriront pas leurs écoles le mercredi matin", explique Didier Carmaux, représentant locale de la Peep. La maire de Saint-Médard-en-Forez, Évelyne Flacher, s'apprête, après une grève de la faim, à enlever les poignées des portes de l'école, tout comme l'élu de Margerie-Chantagret, Nicolas Rey. "Cela me coûterait 60.000 euros", explique-t-il. "Je n'ai pas les moyens. Dans ma commune, l'école sera ouverte quatre jours."
Les gilets jaunes s'organisent pour une manifestation sous les fenêtres de la ministre le 6 septembre. Des bus ont été affrétés… Le maire de Nice, Christian Estrosi, a tenu à marquer sa désapprobation en mettant en vente la maison du recteur... pour financer la réforme. À Marseille, Jean-Claude Gaudin fait la grève du zèle. Opposé au principe, il a fini par s'y résoudre. Mais il affirme n'avoir recruté que 300 éducateurs quand il en faudrait 3.000… "Nous allons ouvrir nos équipements pour aider les familles, explique Yves Moraine, maire du 4e secteur, mais il n'y aura pas des activités pour tout le monde." Les sénateurs d'opposition comme Jean-Claude Gaudin, en campagne pour le renouvellement de la chambre haute, espèrent ainsi rallier les voix des petits maires inquiets de la réforme.
3/ La refondation… sans polémique
Réformer mais sans drame… Une véritable antithèse pour l'Éducation nationale. Les chantiers ont été lancés par Vincent Peillon, mais ils tardent à sortir. Le Conseil supérieur des programmes, institué par la loi de 2013, n'a toujours pas accouché d'un premier texte. Pis. Alain Boissinot, son président, a rendu son tablier en juin. "Pour l'impression des manuels scolaires, les programmes doivent être prêts au moins dix mois avant la rentrée, nous n'aurons donc rien avant 2015 ou 2016", explique Bernard Egger, le président de l'Association des professeurs de mathématiques. Autre sujet sensible : l'évaluation. Tous les acteurs de l'école, parents, professeurs et… élèves, souhaitent la réforme, mais les débats entre les "pro" et les "anti" notes s'annoncent rudes.
4/ Redonner la foi aux enseignants
Des personnels "stressés", "désabusés", "déçus", "impuissants"… Fin août, les enquêtes rendues publiques par les trois syndicats représentatifs, le SNUipp-FSU, le Sgen-CFDT et le SE-Unsa, arrivent toutes aux mêmes conclusions. Au-delà du jeu syndical, elles traduisent un véritable malaise. Leurs élèves occupent des rangs médiocres dans les classements internationaux et les conditions de travail ne s'améliorent guère malgré la création de 60.000 postes de professeurs (54.000 dans l'Éducation nationale) et le rétablissement de la formation des enseignants en septembre 2013. Les 25.000 créés depuis 2012 ne permettent pas de remplir les postes vacants. Les recrues servent à remplacer les professeurs pendant leurs périodes de formation… Sans parler de la crise des vocations. Frédérique Rolet, présidente du Snes, dresse un constat implacable de la rentrée 2013 : sur les 8.781 emplois d'enseignants prévus dans la loi de finances, seuls 5.159 ont été recrutés…
Le Journal du Dimanche :: lien |
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