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Mercredi, 16 Août 2006
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Ces banlieues où le mâle est roi
Philippe Pichon
Tribune libre
Ces banlieues où le mâle est roi
C’est l’histoire de jeunes mecs d’origine maghrébine. C’est le rapport de ces jeunes au quartier de banlieue et à la délinquance. Des pratiques et des limites qu’ils se donnent. Au principe de l’action de ces jeunes voyous, on trouve un fort sentiment d’injustice vécu, fondé en particulier sur la discrimination ethnique et sur sa mise en scène comme expérience commune de vie. L’arabité comme prétexte victimaire.

Crimes de cité ou délits de faciès ? Récit de l’engagement dans la délinquance des enfants d’immigrés maghrébins

Le danger vient de la rue. Ici, dans la cité, elle a plus d’importance dans la socialisation que n’importe où ailleurs. Ne serait-ce que mécaniquement : les jeunes ne sont pas en famille, ils passent plus de temps dans la cage d’escalier qu’à faire leurs devoirs.

Si le vol est une pratique qui se retrouve chez tous les ados, on peut se demander si le type de vol des jeunes des cités n’est pas en partie spécifique. Ces « infractions de cité » sont en effet chez ces jeunes, des infractions opportunistes. En Seine-Saint-Denis, par exemple, les jeunes de la cité des Bosquets à Montfermeil ou ceux des 4 000 logements à La Courneuve ont plus de chances qu’ailleurs de côtoyer des « grands frères » repris de justice que des académiciens promus de justesse. De fréquenter des pairs qui commettent des délits, de les imiter, de s’initier avec eux. Ils zonent avec des jeunes qu’ils savent faire du recel, dealer, voler, agresser, bref, faire du business. La fréquence des pratiques illégales entraîne la banalisation d’une part d’entre elles, jugées sans gravité. Tous les gamins ont sous les yeux des exemples d’autres de leur âge qui s’offrent des biens de consommation de prestige auxquels eux-mêmes ne peuvent prétendre : scooter dernier cri, fringues de marque, grosses cylindrées.

Le rôle de la famille dans la genèse de la délinquance juvénile n’a cessé d’être étudié par une cohorte de sociologues, débattu depuis que les criminologues tentent de comprendre le monde. Ce qu’il s’agit de décrire, et qui l’a rarement été, c’est la sur-délinquance des mineurs, de ces jeunes d’origine maghrébine vivant dans une cité française de la fin des années quatre-vingt-dix.

Très rapidement, dès l’école primaire, des groupes affinitaires se forment. Les jeunes de banlieue se choisissent et forment des petits groupes qui perdureront au-delà de l’adolescence. Cette précocité des affiliations résulte de la socialisation familiale. Indirectement, et dans le contexte spécifique de la cité, elle favorise un certain type de relations sociales, des pratiques délinquantes qui ne pourraient se développer ailleurs. Ce premier groupe de « collègues » joue un rôle déterminant et d’entraînement essentiel. Avec les autres jeunes, on passe du temps dans la rue, on intériorise un code de la cage d’escalier, on se sent obligé de porter du Lacoste ou de rouler en BMW, de détenir un portable, d’interpréter les contrôles de police comme provocateurs : comment parler des choses, en juger, désigner soi et les autres, paraître ; ce qui se fait ou ne se fait pas selon la loi de la cité, comment entrer en interaction, etc. Le groupe dit ce qui vaut la peine et ce qui ne vaut pas la peine, ce qu’il faut penser de tel événement. Plus les jeunes passent de temps sur ce quartier, plus en effet ils sont soumis à une pression à la conformité de leurs pairs : les « grands frères ». Cette pression « normative » fait intervenir de véritables procédures de contrôle social : rappels à l’ordre plus ou moins violents, ostracisme, « tournantes ». Les jeunes vivent très tôt une « vie de cité » qui leur procure une socialisation dont l’importance résulte de leur distance à l’école et à la famille, et plus tard à la police et à la justice, en même temps qu’elle la renforce.

Trouver un emploi, fonder une famille, s’autonomiser par rapport aux parents, etc. sont autant d’objectifs légitimes non poursuivis. Il ne peut y avoir à la fois conformité à certaines normes dominantes et délinquance que parce que le groupe de pairs produit et offre une justification à ses membres Dans le contexte de la barre HLM, c’est comme si on ne pouvait pas faire autrement que faire du business ou faire connaître sa colère autrement qu’en brûlant la voiture du voisin de palier.

Les parents de ces jeunes n’élèvent pas leurs progénitures selon des principes, avec un rapport à la loi française spécifique. Mais il ne suffit pas que ces principes soient énoncés pour qu’ils soient intériorisés par les enfants. Dans le cas de ces jeunes, les conditions d’appropriation des principes vertueux ne sont pas réunies. D’abord, parce que ceux qui les énoncent sont disqualifiés pour le faire. Ils sont perçus par les enfants comme s’étant trop soumis à ces impératifs, avoir trop, par là même, accepté leur situation dégradante. Ils sont disqualifiés parce que déclarés incompétents pour cette société de consommation. Les fils disent de leurs pères qu’ils ne comprennent pas ce qui se passe, qu’ils sont dépassés. Les pères eux-mêmes avouent l’être. Des pères qui, très souvent, ne savent ni lire ni écrire : « Moi, mon fils, il brûle des voitures, qu’est-ce que je fais, je le tue ? » L’exemple typique concerne l’injonction parentale à réussir à l’école. Quelle peut-être la valeur de ce discours énoncé par des parents qui n’y ont jamais été, et qui, invalidation par incompétence, ne savent pas vraiment qu’une journée de deal de shit rapporte environ une semaine de salaire moyen ? Ce qui déconsidère ce discours, c’est que le fils le trouve inadapté à la société moderne française et à la cité. Qu’un père demande à son fils de rendre compte de tout ce qu’il fait, de ne pas sortir, de ne pas participer à telle intifada n’a pas de sens dans le contexte du quartier qui reste totalement méconnu des parents.

Pour que la délinquance se développe bien au-delà de ce que permet traditionnellement la communauté, il faut que cette communauté échoue à la maintenir dans certaines limites. Des limites qui n’ont plus de frontières. Dans le cas de ces jeunes, le contrôle familial n’est pas opératoire. Il ne fonctionne pas parce que les pères, on l’a dit, ne maîtrisent pas suffisamment l’environnement de la cité pour contrôler leurs enfants. Il n’est même plus à exclure que certains parents ferment les yeux. Le shit ça met du beurre dans les épinards, accessoirement son trafic permet de s’acheter une BMW, de remplir le frigo ou le couscoussier.
Enfin, et cela encore résulte du niveau socioculturel de ces familles, les pères n’ont pas su faire évoluer la discussion, la communication, le contrôle familial qui est adapté à un autre contexte. Au bled, ce contrôle bénéficie du soutien communautaire, la « famille élargie » prenant le relais des parents lorsque le jeune est dehors. Ce n’est pas le cas dans la cité française.

Chez ces jeunes, la circulation de la parole est forte. Ils parlent de Zidane, de la dernière Play Station, de ce qu’a dit le « keuf » lors du dernier serrage policier, de la nouvelle Golf, mais de l’école, rarement. Et ils parlent aussi de business, « de celui-là qui est tombé pour stups », de l’action de la BAC locale et des cellules de garde-à-vue du commissariat, du fonctionnement du tribunal correctionnel, des tarifs de tel avocat, de la discrimination qu’ils disent subir et plus généralement de la pression qu’ils font subir aux « bouffons ». Quant à l’endroit de ces voyous, la justice est relativement clémente à bien des égards. Ils ont leur manière de raconter les histoires, il y a la façon de les interpréter, de donner du sens au monde qui les entoure, à leur situation, à leur « galère » comme ils disent, qui va souder ces jeunes, constituer un vécu commun et permettre que dans certaines situations, il y ait une véritable action collective. On pense aux émeutes urbaines de l’automne 2005.

C’est drôle, le langage : ceux que la justice nomme récidivistes, les sociologues peuvent les qualifier de réitérants. Presque déjà une excuse oratoire.

S’y ajoute un phénomène bien connu : la fréquentation assidue de la police et de la justice est devenue banale sur le quartier. Dès lors, la crainte que suscitent les rigueurs de la loi se dissipe. En fait, on peut dire que pour chaque groupe de jeunes, la peur du Pandore se situe à des niveaux différents, mais toujours très bas. A la cave plutôt qu’au grenier. Pour les délinquants chevronnés, tout ça est normalisé, ça devient la routine : police, menottes, audition, déferrement, pas de prison. Il n’en reste guère qui ont tout à perdre avec une mise en détention. On n’a pas encore inventé le crime à crédit que déjà existe le remboursement anticipé pour la prison.

Les jeunes ont en commun de partager un très fort sentiment d’injustice. Ils en parlent entre eux, ils en parlent pour justifier leur ressentiment, leur colère, la plupart de ce qui est pudiquement qualifié par les bobos d’ »incivilités », un certain nombre de leurs délits. Le vécu victimaire ne rend ainsi pas seulement compte des dégradations – actions isolées ou de petits groupes – ou des actions collectives de plus grande ampleur – telles que les émeutes urbaines –, mais aussi des délits acquisitifs. Il s’agit de se faire justice, de réparer un tort subi. J’ai l’air arabe alors je vole un écran Plasma. On ne voit pas tellement-là le rapport. De quelle injustice s’agit-il ? Des sociologues ont parlé d’une assimilation en cours de tous les jeunes. Nos observations policières indiqueraient plutôt un processus bloqué ou en recul, avec toutes les caractéristiques de dangerosité communautaire du quartier de relégation. Il faut avoir le courage de l’écrire.

Il faudrait discuter de la thèse évoquée par de nombreux auteurs selon laquelle les jeunes d’origine maghrébine vivant dans les cités sont intégrés culturellement pas socialement, d’où leur sentiment de frustration… La notion « d’intégration culturelle » n’étant pas précisée, de quoi parle-t-on ? Qu’en est-il de l’intégration culturelle de jeunes qui déclarent avoir toujours grandi entre eux et qui disent éprouver un sentiment de décalage, voire de haine, lorsqu’ils passent du temps avec des Français de leur âge ? En réalité, ce sentiment d’injustice se rapporte à l’histoire individuelle de l’intégration de ces jeunes : ce qu’ils évoquent beaucoup en effet, c’est l’injustice faite à leurs parents par la France – injustice du cloisonnement dans des emplois dévalorisants, de la colonisation française, de l’avenir promis aux enfants, etc. Mais peut-on vivre sur cet « héritage familial » ? Il serait trop long de montrer ici le fondement subjectif de ce sentiment victimaire. Outre que le ressassement induit mécaniquement les jeunes à rester entre eux, à grandir entre soi, il crée le sentiment de la mise à l’écart de soi comme « arabe du coin ».

Ce sentiment est exacerbé chez les jeunes. Ils ne se sentent pas français. C’est cette conscience de de la prise en compte par la société française de leur origine maghrébine qui fournit aux jeunes le principe explicatif des violences qu’ils commettent. Devant nécessairement, comme tout acteur social, donner du sens à leur situation, ils fondent ce sens sur les indices de discrimination « ethnique » dont ils disposent. Appréhendés, traités comme des immigrés maghrébins – ce que souvent ils ne sont pas puisque, pour leur très grande majorité, ils sont nés en France, ils ne sont pas immigrés ; de nationalité française, ils ne sont pas plus maghrébins – ils se saisissent de ce stigmate pour en faire une identité ethnique victimaire et revendiquer leur « arabité ».

Certains délinquants ont en commun non seulement ce très fort sentiment d’injustice mais une interprétation (douteuse) de cette injustice dans les termes d’une discrimination à caractère ethnique ou raciste. Il y a de quoi en rire. Si ce n’était à en pleurer. Peu après les faits de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) fin octobre 2005 qui ont vu la mort de deux jeunes dans un transformateur EDF, et les violences urbaines qui ont suivi, ces jeunes se sont très fortement revendiqués arabes et fiers de l’être. Ils se sont vécus collectivement victimes d’une agression à caractère raciste. Le temps passant, cette revendication identitaire s’est faite moins pressante, sans pour autant disparaître. Pronostic est pris que l’anniversaire de la mort de ces jeunes sera l’occasion de réaffirmer cette arabité… par des nouvelles émeutes.

On n’a pas tous la même valeur dans cette société. En effet. Le statut social du pauvre type qui doit se lever tôt chaque jour, c’est l’insécurité. Pour les jeunes, c’est l’impunité. C’est toujours la même vieille histoire.

La cage d’escalier est devenue un environnement social qui rend acceptable un certain degré de délinquance par rapport aux normes défendues par les lois. On sait que l’on marche sur la tête, mais on ne veut pas se remettre sur les pieds. De l’extérieur, décidément, cette vie de chien dans une cité de chiottes devient vite une vie de chiottes dans une cité de chiens. On hésite alors pour la race : pitbull ou rottwiler. Pas pour le sexe. Mâle, évidemment mâle.
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