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Espionnage au parlement européen?
Thomas Deflo |
Tribune libre
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Durant mes études de postgraduate en Human Ecology (V.U.B. 2004), j'étais à la recherche d'un stage pratique dans une ONG intéressante ou dans une administration environnementale. Après quelques recherches à travers des sites d'offres de stages sur l'internet, la Bellona Foundation captivait mon attention. Je les envoyait un mail de postulation, on arrangeait un rendez-vous et j'était accepté comme stagiaire. Ce fut le début d'une période risquée.
Cette fondation-Bellona s'occupe à organiser des conférences environnementales au sein du Parlement Européen. L'attention se dirige sur les combustibles fossiles et l'énergie nucléaire. Mon enthousiasme, comme étudiant en écologie, était considérable. Le lobbying au parlement était mis en pratique par des tables rondes dans les ailes de l'impressionnant immeuble square Léopold. Ma tâche était de rapporter sur ces conférences. Mon rapport sur les dangers du transport de pétrole sur les mers baltiques et Barents est publié sur le site de Bellona.(1)
Bref, ce stage était prometteur comme une bonne école pour apprendre les finesses des institutions européennes, spécialement au plan environnemental...
...jusque au moment où je faisais plus de recherches sur le passé de cette fondation Bellona. J'étais assez familiarisé avec le secteur environnemental, mais je n'avais jamais entendu parler de cette ONG. Ce qui sortira de mes recherches allait me laisser stupéfait.
En Russie, Bellona portait l'attention sur la faible sécurité des sous-marins. L'ONG avait subit une panoplie d'affaires juridiques. Les services de renseignements russes FSB (Federal Security Service) avaient régulièrement accusé Bellona d'activités d'espionnage. (2) Des employés Bellona étaient présumés avoir des liens avec les services de renseignements occidentaux. (3) On peut lire tout ceci sur le site de Bellona.
Dans le cadre d'espionnage, l'affaire Nikitin se mettait sur l'avant-plan. Alexandre Nikitin était capitaine dans l'armée russe et inculpé par l'FSB de rassembler des informations, en échange pour des payements, pour Bellona. Finalement, en septembre 2000, après des années de disputes, l'Haute Cour de Justice décidait le cas en faveur de Nikitin. Depuis lors, l'officier russe est un dénonciateur mondialement connu du fonctionnement opaque de la justice russe, des fameux sous-marins rouillants, et de la contamination radio-active par les vieux navires. (4)
Il y a, en effet, un tas de fumée autour de Bellona qui met cette ONG dans une toute autre lumière. Des persécuteurs et journalistes russes exprimaient plusieurs fois l'accusation que Bellona travaillait indirectement pour les services de renseignements occidentaux, et qu'elle se servait d'un manteau environnemental pour pratiquer l'espionnage militaire. (5) Ces accusations à l'adresse de Bellona furent répétés.
Il est clair qu'une série d'organisations non-gouvernementales existe en Russie qui s'investissent effectivement au plan des droits humains ou de l'environnement, mais qui entretiennent aussi des liaisons proches avec les ambassades américaines ou britanniques et leurs rendent service. L'FSB rapporte qu'en 2006, sur les milliers d'ONG en Russie, seulement 92 sont confirmés comme étant autonome. D'autres ONG paraissent recevoir des finances
de la part d'ambassades américaines ou britanniques. (6) Récemment, un scandale paraissait dans la presse mondiale indiquant que des diplomates britanniques espionnaient à Moscou. (7)
Ma postulation au bureau bruxellois de Bellona m'avait laissé un goût amer. Afin d'accéder aux bureaux, il fallait passer par une imprimerie. Les deux employés siégeants avaient l'air intelligent et motivé, mais pas du tout comme des lobbyistes environnementales. Pas de problème à ce point: je ne me considérais pas non plus comme extrémiste écologique - plutôt voulais fonctionner comme liaison de support environnemental et de coopération envers le monde politique et corporatiste.
Mais au fur et à mesure de tomber sur d'autres informations sur le passé de Bellona en Russie, mon opinion sur ce stage allait changer rapidement. Ce qui était inquiétant, c'est que cette information russe correspondait parfaitement avec le profil du Bellona local, avec sa façon d'agir dans la capitale européenne. L'infrastructure des bureaux mêmes, pour commencer, laissait peu à l'imagination : l'endroit, dans une arrière-chambre d'une imprimerie ixelloise, semblait sortir droit d'un film noir.
Le trio de membres Bellona ne recyclait absolument aucun plastic ou papier; pas de magazines environnementales rentrant par la poste; par contre des éditions diplomatiques régulièrement étalés sur la table.
Idéologiquement, l'ONG tenait des positions étranges. Les membres verts du parlement étaient mal vus. Les fonds financiers étaient supposé originaires d'une liste de 3000 membres contribuants (je n'en ai jamais rencontré un) et de dons administratifs. Les stratégies écologiques de Bellona étaient très atypiques pour un groupe de pression environnemental. Les idées, par exemple, pour réduire l'émission de CO2-, semblaient sortir droit d'un plan d'action d'une entreprise pétrolière.
Bellona possède un bureau à Washington DC, ce qui complète le tableau.
L'Europe figure depuis des années comme terrain de jeu pour toutes sortes d'opérations masqués par les services de renseignements, allant d'infiltrations, passant par des écoutes jusqu'à l'organisation d'actions terroristes. En 1996 un scandale éclatait quand des entreprises américaines étaient accusés avoir abusé de leurs technologies de router pour passer des informations du parlement européen vers la CIA. (8)
La présence de services de renseignements externes, bien sur, date de la Guerre Froide, quand des vrais guêpiers d'opérations clandestines et d'espionnage se trouvaient des deux côtés du mur de Berlin. La deuxième partie du 20ième siècle allait continuer à être dominé par ce combat entre communisme et capitalisme. Les opérations sanglantes 'Gladio' de la CIA pendant les années '70 et '80, avec l'intention de faire virer à droite les administrations politiques européennes, et de freiner un réveil communiste imminent, en étaient le résultat. La KGB elle-aussi finançait des partis communistes italiennes, espagnoles et françaises. Durant la même période, selon Olav Gordievsky, un officier de la KGB au Danemark, l'agence d'espionnage russe essayait de nicher ses complices dans les institutions européennes.
En 2002, Robert Dougal Watt, un auditeur de la Court des Comptes européenne, s'estime en danger de vie quand il veut dénoncer l'infiltration des institutions européennes par différents groupes de pouvoir. (9) Je me reconnais dans son histoire. L'aspect risqué de ce stage, pour moi, fut le fait que durant ce stage je maintenais un site sur la CIA - un site qui acceuillait pas mal de visiteurs. Il s'avérait comme une combinaison malheureuse avec mon travail dans cette ONG. Ma remarque plutôt rigolante que Bellona pourrait bien être une ONG d'espionnage venait malheureusement à leur oreille. Par mon profil comme investigateur sur la CIA, ainsi que par mes relations avec les partis verts et d'autres ONG environnementales, une situation problématique se posait.
Dans ce cas-là, l'anecdote suivante, plutôt lugubre, indique comment Bellona prend son travail au sérieux. En 2003, le jeune activiste environnemental Runar Forseth (un employé de Bellona en Norvège) décède d'une soudaine crise cardiaque. Durant sa vie il portait un pacemaker, selon un membre du cadre bruxellois de Bellona, qui était clairement déconcerté par mon inquisition sur la cause de mort du jeune homme. La phrase introduisant le défunt sur le site de Bellona disait (ma traduction, ndla): « Finalement, il était seul, avec personne autour de lui. » Assez choquant, à tout bon entendeur.En avril 2004, peu après que j'avais exprimé mon étonnement sur la particularité d'une tel nécrologie (sans en avoir parlé à Bellona même), cette phrase fut enlevée et un nouveau début fut publié. (10)
Espérons que j'ai quitté cet ONG à temps, afin d'éviter de suivre la fin malheureuse de Runar.
13/06/2006, Anvers
(1) Thomas Deflo, Protecting the Barents and Baltic seas from oil spills, The Bellona Foundation, 19 mars 2004.
(2) Russian security police announces new arrests in the espionage case against Bellona, The Bellona Foundation, date inconnue.
(3) Russian secret services block sociological study, The Bellona Foundation,13 decembre 2004
(4) Peter Michielsen, Overwinning voor milieu en recht Rusland, NRC Handelsblad,30 decembre 1999.
(5) Russian Repression against Bellona Foundation, Wise, 27 octobre 1995.
(6) Russia accuses groups of spying, BBC News, 8 december 2005. & EuropeanPress Review, BBC News, 24 janvier 2006.
(7) UK diplomats in Moscou spying row, BBC News, 23 janvier 2006.
(8) American spies hack into Euro computers to steal trade secrets, London Sunday Times, 4 août 1996.
(9) CIA and freemasons among dark forces in Europe: an exclusive JUST Response report from the Dougal Watt Dossier, Just Response, 20 août 2002.
(10) The Warrior who fell, The Bellona Foundation, 5 novembre 2003. |
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