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Lundi, 21 Août 2006
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Banlieues : jeunes sans foi ni loi
Philippe Pichon
Tribune libre
Banlieues : jeunes sans foi ni loi
Simples disputes d’adolescents à propos d’appropriation d’objets ? Ou plus grave : provocations à des épreuves de force, provocations de bagarres ? Au sein de compétitions ou de jeux ? Mises en cause ou remises en question identitaires familiales, voire sociales ? La délinquance à l’école : des histoires de violences quotidiennes.

Les « jeunes de la galère » constituent-ils un mouvement social ? Existe-t-il un péril « jeunes ? Des jeunes qu’on décrit sans racine ni débouchés, en échec scolaire et sans travail, en rupture de bancs et de ban, flottant entre de petits boulots aléatoires, des « stages » plus ou moins bidon et des combines inavouables, traînant leur désoeuvrement entre les cages d’escalier nauséabondes, les parkings défoncés, les rares cafés, les galeries marchandes glauques, les commissariats barricadés à cause des assauts répétés, et les vagues centres qui n’ont de « culturels » que le nom mis à leur disposition et régulièrement incendiés.

Les « jeunes » comme on nomme maintenant les voyous des banlieues, constituent-ils un mouvement social ? A première vue, non. Ils en sont même à l’opposé. Ils n’ont ni sentiment d’appartenir à une communauté ni revendications précises, ni perspectives ni stratégie. Ce qui les caractérise, c’est l’exclusion et la rage.

L’univers de la galère est informe, désarticulé, imprévisible. Si les solidarités familiales, religieuses, politiques, syndicales ont volé en éclats, laissant les jeunes désemparés, on y trouve néanmoins une société ethnique et délinquante de substitution qui est le refuge ordinaire de ces déshérités : bandes organisées, gangs unis autour d’un territoire.

Phénomène relativement nouveau : l’engagement dans la délinquance de ces « insoumis » dans un cadre scolaire. En cours, ce sont souvent des disputes à propos d’un livre ou de tout autre matériel scolaire que les jeunes ne veulent pas partager pour pouvoir travailler ensemble ; des disputes pour « une taffe » dans la cour de récrée; une bagarre pour la nouvelle Play Station. La rivalité est en général individuelle mais elle peut aussi être collective.

Mais si ces petits incidents sont maintenant relevés par les membres de l’Education nationale, ils n’ont d’intérêt qu’en regard de ceux qui les produisent : élèves difficiles, étiquetés « sauvageons », piles électriques ou véritables impulsifs et qui sont précisément en échec scolaire.

Si les bagarres – « les bastons » d’Alain Souchon ont, depuis longtemps, laissé la place aux batailles rangées de groupes opposés – sont les incidents les plus racontés, le plus intéressant est qu’ils ne sont pas vécus, apparemment, sur un mode dramatique, mais bien plutôt sur un mode ludique. Les provocations sont le plus souvent lancées par des formules dont l’emploi est stéréotypé et qui apparaissent comme des injures visant la famille ou l’appartenance ethnique : « nique ta mère, nique ta famille » ou, ayant notre préférence, « nique ta race » ou encore, version light, « ta mère, ta race », par exemple. Les provocations sont une sorte de code qui, parce que les expressions font semblant de mettre en cause la relation identitaire – ce dont personne n’est dupe – est censé déclencher les réactions en chaîne et des altercations de plus en plus violentes pour aboutir à l’objectif visé : ne plus aller en classe.

C’est, comme le précise le commissaire central de Meaux, M. Lejeune, « pour faire l’intéressant, pour voir celui qui gagne, ils ne cherchent pas à avoir tort ou raison ».

Cette fois-ci, observé et non plus raconté, l’incident suivant est tout aussi significatif : avant l’entrée en cours, deux jeunes se battent, et quand un CPE leur demande pourquoi, l’un répond : « Ce matin, sur le parvis du collège, il y avait son frère [son grand frère], et il m’a traité ». « Qu’est-ce qu’il t’a dit ? », demande l’adulte : « Je ne sais pas, mais il m’a traité. Maintenant son frère n’est pas là, je lui nique la tête » explique le jeune. La riposte, la bagarre qui aurait dû être la réponse au fait « d’avoir été traité », et qui n’a pas pu avoir lieu en son temps du fait de la présence du grand frère du provocateur, n’a été que différée.
Ces provocations de bagarres ont en général lieu entre garçons de quartiers différents, ou de classes différentes. Mais elles peuvent aussi être collectives, de groupe ethnique à groupe ethnique, de telle cité à telle autre. Ainsi, un des mots déclencheurs, un de ceux faits pour « embrouiller » est par exemple : « t’es pas de la cage » - sous entendu de la même cage d’escalier, du même bâtiment, du même immeuble. Finies les politesses du genre « casse-toi tu pues t’es pas d’la bande ». Exit Renaud. Aujourd’hui, c’est le territoire du business qui compte. Qui fait foi, qui fait loi.

D’autres provocations ont aussi lieu dans le gymnase et aux abords des terrains de football et de basket, c’est-à-dire dans des cadres de loisirs. Les incidents observés ont souvent lieu pour une question de sélection autour du jeu ou du sport, avant, pendant et après. Ainsi ce jeune qui, parce qu’il n’est pas sélectionné pour jouer – par hasard du tirage et non pas par incompétence – confisque la raquette de ping-pong ; les autres se liguent alors contre lui. Cette fois par sort du tirage. Le même style d’incident se produit à propos d’autres jeux et avec d’autres adolescents. Quand il s’agit de jeux ou de sports collectifs, dans lesquels se confrontent non plus des individus mais des équipes, les policiers racontent que les jeunes, pour avoir les meilleurs dans leur équipe, doivent exclure les « nases », ceux qu’ils ne jugent pas assez compétents. D’un côté comme de l’autre, on peut dire que ces sélections sont ressenties comme des vexations individuelles et qu’elles provoquent parfois des réactions de résistance qui peuvent alors entraîner un enchaînement de violences contre le récalcitrant. Et l’intervention dissuasive de la police pour ramener un semblant d’ordre public.

Pendant les jeux eux-mêmes, il s’agit plutôt d’une sorte d’excitation où les provocations sont en fait des défis lancés entre participants, entre patriotisme de cité : « Donne le ballon que je te pète la race », au début d’un match. « Je vais te niquer », dit l’un d’eux à son adversaire pour commencer une partie de ping-pong, ou de billard, comme cela se passe partout ailleurs avec d’autres mots.

Les observations policières à propos des perdants sont plus intéressantes encore. Souvent celui qui perd refuse l’échec et ne veut pas que le jeu se poursuive : il ne veut pas donner la raquette de ping-pong, ou confisque le ballon rond. On retrouve la même vexation, la même réaction que dans le cadre de la sélection pour participer au jeu.

Mais surtout on assiste à un comportement particulier qui consiste à s’en prendre au perdant : ainsi, celui qui vient de perdre subit les pires attaques de la part de ses copains. Bien plus, un « grand » surgit d’une autre salle ou d’un autre terrain et lance généralement « il faut le niquer le perdant, vas-y, ma famille nique ta famille » : à qui s’adressent exactement les propos ? Au perdant, à ceux qui l’humilient en ce moment ? Ce jeune est-il une tête de turc avec sa tête d’Arabe, et le fait qu’il perde permet-il de pratiquer quelque chose qui ressemble à un lynchage symbolique ? L’expérience policière est intéressante parce qu’elle montre que la compétition est parfois un prétexte à des sortes de règlements de compte. On veut faire partie de telle équipe de football pour « tacler celui-là qui en fait partie ».

En fait, ces provocations permettent aux uns et aux autres de se jauger et, pour certains, de se trouver dans des positions de leaders du fait d’une compétence particulière dans tel ou tel jeu, tel ou tel sport. Mais les enquêteurs le précisent bien, « ces positions de leaders ne valent que par rapport à un match de foot et non de façon générale et permanente au sein des groupes, au sein de la cité ».

En ce qui concerne l’identité sociale, il semble bien que l’antagonisme le plus marquant et le plus ressenti soit celui qui concerne ceux que les jeunes nomment les « Français ». On ne peut faire état ici d’incidents racontés ni même observés par des policiers car dans ce qui est dit par les adolescents à leur propos, on est plutôt du côté de la description de comportements. Ainsi, ce sont ceux qui font partie d’un quartier à population en majorité française et de milieux aisés, les « rich-men » comme les nomme Ahmed. Juin 2006.Commissariat de police de Coulommiers. Pépites au cours de la garde-à-vue : « Ils sont tops à l’école, ils ont leurs parents qui sont des profs, leurs sœurs et leurs frères, ils sont profs. La plupart, ils sont pleins de tunes, ils n’ont pas à chouraver, pas de prise de tête pour faire leurs devoirs et tout. Eux, ils vivent dans des pavillons, c’est pas pareil que nous » ; « ce sont ceux qui sont proches des profs, qui les invitent chez eux, les bouffons », raconte-t-il.

Mais ce sont aussi ceux qui sont exclus de leur propre groupe, ceux à qui ils « mettent des chocs », et qu’ils « vannent », etc. Une élève d’origine algérienne qui est dans un collège à majorité française fait bien la différence : « Mes amies de cité, c’est des Arabes, les Françaises, c’est mes copines de classe ». Ou encore, comme le dit ce jeune : « Je parle avec eux, je ne traîne pas avec eux ».

L’expression « sale français » revient souvent ; pourtant malgré son apparence, elle n’est pas à proprement parler une injure raciale et n’est pas utilisée comme telle. Elle ne s’adresse pas aux Français en général, mais à celui que les autres jeunes ne veulent pas admettre dans leur groupe, alors qu’il est un enfant d’immigré comme eux, ou bien tout simplement pour lui signifier qu’il n’est pas conforme au groupe. Ainsi, « Tu me carottes, tu me prends pour un Français » veut dire : eux, tu peux les duper, les tromper, les rouler, mais pas moi, je ne suis pas comme eux, je suis de votre côté, de votre groupe, de votre monde.

En ce qui concerne l’identité familiale, il s’agit en général d’une obligation de vengeance ou de réparation par rapport à un frère plus petit (ou une sœur) qui a été insulté, battu ou même simplement provoqué.

Ainsi, comme on lui a dit que sa sœur était « bonne » le matin, le frère vient attendre à l’école de celle-ci « pour attraper grave le mec et lui régler son compte ». On a aussi souvent cette menace, si le petit, agressé par un autre, a un grand frère : « Vas-y, touche-moi pas, je le dirai à mon frère. Tu le connais, il t’a déjà attrapé l’autre fois et niqué au gymnase ». Ou encore, ce jeune qui est connu pour ne pas vouloir se battre et à qui l’on prend sa console de jeux, son frère va alors régler son affaire à celui qui avait ainsi voulu pousser son petit frère à se battre. Il ne faut toutefois pas confondre cette solidarité par rapport à la famille, cette obligation de répartition, avec les expressions stéréotypées insultant apparemment la famille dans les provocations à la bagarre.

On retiendra en tout des actes de violence qui ont lieu en milieu scolaire, qu’il s’agisse de défis, de mises à l’épreuve, d’affrontements, qui permettent aux uns et aux autres de se distinguer, de se faire remarquer, de se faire une place, de se donner un rôle, etc., en un mot, d’exister, d’établir des hiérarchies là où, finalement, du fait des statuts égalitaires, il n’y en a pas, puisqu’ils sont tous sur le même plan, jeunes par rapport aux adultes, élèves par rapport aux professeurs. Banlieusards de cité contre banlieusards de pavillons.

Aussi tout ce qui, dans un autre contexte social, apparaîtrait comme bêtises d’enfants, professeurs qui se font chahuter, bagarres pour vérifier qui est le plus fort, moqueries, tout ce qui aurait appartenu au registre de La Guerre des boutons, tous les incidents, toute la violence verbale et physique, semblent avoir, en banlieue, comme principal moteur un sentiment d’exclusion qui engendre une réponse d’appartenance, de revendication identitaire, et à son tour de rejet de ceux dont on se dit exclu.

Mais au-delà, ce qui apparaît de façon particulièrement nette, c’est, du point de vue institutionnel, le clivage social manifeste qui en constitue la toile de fond. Clivage dans lequel les quartiers riches et à population en majorité française de souche, sont ceux dont ils se sentent exclus. Clivage dans lequel les jeunes qui sont du côté de la (nouvelle) norme dominante – les enfants issus de la troisième génération d’immigration africaine – sont ceux qui ne suivent pas, ne comprennent pas, se sentent en dehors de la norme scolaire, exclus du monde environnant et par conséquent, victimes autoproclamées, condamnés à l’échec.

En général, on reconnaît les « jeunes des quartiers » à leur uniforme social : casquette, vêtements de sport de marque, cheveux rasés ou coupés très courts, langage « de cité ». Ils se disent les victimes d’un ostracisme diffus au moment de l’embauche ; parfois le refus du recrutement des jeunes Maghrébins s’affiche. En quelque sorte, responsables mais pas coupables. C’est toujours la même vieille histoire. Le refrain est trop connu.

La violence comme la délinquance sont instables, volatiles. La sociabilité se limite à des contacts fragmentaires, aussi vite dissous que formés autour du business. Les comportements sont insaisissables. N’ayant aucune expérience de l’action collective, profitant habilement des maigres occasions de l’aide sociale et pratiquant sans remords une forme de « redistribution » par le vol et les trafics en tous genres.

Tout est affaire de mots en effet. On ne dit plus « émeutes urbaines », on dit « violence sociale ». L’affaire de l’automne 2005 à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) est tout à fait éloquente : les racistes sont ceux qui considèrent les enfants d’immigrés comme du bétail que l’on parque et non ceux qui refusent que les banlieues demeurent des ghettos. Cette concentration pose en effet des problèmes extrêmement graves. Le regroupement massif de nationalités diverses, ayant chacune ses habitudes, ses coutumes, ses traditions culturelles, a généré des heurts avec la population française de souche. Tout cela a fait naître une réalité d’insécurité. Et un réel sentiment de racisme. Il faut avoir la franchise et le courage de le dire. On hésite désormais entre l’apathie et la révolte, la résignation et le cynisme.

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Article communiqué par l'auteur et précédemment publié sur Toutes les nouvelles (Versailles).
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