« J'épouse le point de vue de Lampedusa, et disons aussi de son personnage, le prince Fabrizio. Le pessimisme du prince Salina l'amène à regretter la chute d'un ordre qui, pour immobile qu'il ait été, était quand même un ordre. Mais, notre pessimisme se charge de volonté et, au lieu de regretter l'ordre féodal et bourbonien, il vise à établir un ordre nouveau. » (Visconti)
Pour des raisons de stratégie électorale, nous avons tendance à considérer comme nos principales concurrentes les extrémités droites du spectre politique. Nous sommes tentés, nous qui serions la "vraie droite", de les traiter de "faussaires". Ne se réclament-elles pas, pour appâter le chaland, d'un projet que l'UMP a constamment foulé aux pieds quand elle était au pouvoir ? Le pain au chocolat ne serait-il pas, depuis toujours, notre propriété ? Accepterions-nous que les démêlés internes de l'UMP, pas plus que le ramadan, nous privent de son exclusive jouissance ?
Au delà de la trahison, il importe de relever l'inconséquence. Sinon, et si le seul reproche que nous sommes en mesure d'articuler contre l'extrême droite est de penser comme nous, il est inéluctable, selon le vieux principe de l'amour-haine, que la rivalité laisse place à la fusion.
Or cette extrême droite, dite aussi, par antiphrase, "droite forte" ou "droite populaire", n'est pas nous. Elle est, et doit rester aux yeux de tous, le contraire de nous.
Par trahison ou par aveuglement, cette extrême droite ne comprend pas que la France des clochers, des fromages et des artisans, à laquelle elle est légitimement attachée pour des raisons sentimentales, n'a aucune place dans la jungle mondiale où s'affrontent, par la grâce de la "main invisible", de gigantesques monopoles.
Par trahison ou par aveuglement, cette extrême droite ne comprend pas que sa vision du "libéralisme" - un degré élevé de libertés économiques dans un cadre étatique allégé mais efficient - est radicalement incompatible avec l'organisation néo-libérale du monde telle qu'elle se déploie sous nos yeux.
Par trahison ou par aveuglement, cette extrême droite ne comprend pas que l'Etat qu'elle fait profession d'abhorrer n'est pas l'Etat mais le contraire de l'Etat : une structure de défaisance chargée de reporter sur l'ensemble de la collectivité - mais aussi sur l'avenir - les dégâts d'une prédation généralisée des ressources financières, sociales et environnementales.
Là où l'"extrême droite" des libéraux conservateurs voit le triomphe du socialisme se manifeste donc, malgré son incroyable capacité de résilience, l'effondrement sur elle-même de cette idéologie libérale que l'extrême droite professe à son corps plus ou moins défendant.
N'ayons aucun scrupule à lui en laisser assumer les rogatons pourris.
Nous qui rêvons d'une société juste, ne nous faisons pas les avocats empressés de ce qui, précisément, l'a détruite. A cette chose des puissants qu'est devenu l'Etat, substituons l'Etat impartial, l'Etat du bien commun, bref la chose de tous : la République !
Oui, relevons cet Etat républicain qui est à terre, que les puissants ont condamné à l'impuissance et à l'obésité, qui est devenu leur chose, et que l'extrême droite, faible avec les forts et forte avec les faibles, se charge maintenant de stigmatiser comme responsable de tous les maux...
Ne soyons pas simplement des conservateurs qui espèrent conjuguer le beurre et l'argent du beurre : une France de carte postale où l'internet n'aurait pas tué le bistrot du coin, ni le supermarché l'épicier du quartier, ni le dogme de la compétitivité nos PME enracinées. Un paradis pour tout réactionnaire inconséquent qui s'arrangerait bien que rien ne change, sauf ce qui le dérange...
Notre perspective est toute autre : nous sommes prêts à ce que tout change pour que rien ne change de ce qui est essentiel.
Il n'est plus temps de pleurer sur le lait renversé et de chercher des coupables.
Il faut nous mettre à l'ouvrage, et reconstruire. Pas seulement restaurer.
Soyons courageux.
"Plus est en nous !"