Voir nos amis (sic) Qataris se retrouver dans le collimateur de pas mal de monde, à commencer par celui de son pair du CCG1, l’Arabie Séoudite, semblera à beaucoup plutôt réconfortant. Mais l’affaire démontre aussi que, quelque part, nous aurions tous, en matière de relations avec les adeptes de la doxa takfirî, quelques cadavres dans nos placards respectifs.
Q. Vous persistez dans vos doutes concernant l’Arabie Séoudite à propos du terrorisme ?
Jacques Borde. Oui, sans problème. Mais, notez que je suis loin d’être le seul. Ainsi, notre estimée consœur, Anissa Naouai (qui présente de l’émission In the Now sur RT) lorsque Riyad accuse Doha de soutenir la terreur takfirî, estime c’est « Comme si Coca accusait Pepsi de mettre trop de sucre »2 dans ses sodas.
Pour Anissa Naouai, « non seulement l’Arabie Séoudite et le Qatar sont autant impliqués l’un que l’autre dans le financement du terrorisme, mais les Occidentaux jouent un double jeu, à l’instar du Royaume-Uni qui livre des armes à Riyad »3.
« Le Royaume-Uni a subi trois attaques terroristes en 75 jours », commente avec amertume Anissa Naouai, « mais le Home Office4 se refuse toujours à publier un rapport sur le financement des groupes terroristes au Royaume-Uni »5. Afin, explique-t-elle, « de ne pas froisser »6 Riyad.
Q. Autre point de friction, jusqu’où peut aller l’ire de Washington à l’égard de Téhéran ?
Jacques Borde. Difficile à dire. Il y a, bien sûr, le poids des mots, la nécessité des alliances. Or si la réactivation du Quincy Pact est évidente, il y a aussi certaines réalités que le président américain, Donald J. Trump, devra prendre en compte. Parmi elles :
1- mettre à tout prix la main de Téhéran dans le saoural, surtout à aussi vaste échelle, des terroristes takfirî ne tient pas la route. 99,99% des acteurs de cette terreur takfirî sont des sunni (comme ceux qui sont penchés sur leurs berceaux, le Jamiat al-Ikhwan al-Muslimin7, et les Naqshbandî) s’opposant à l’arc chî’îte, dirigé par Téhéran ;
2- Trump a d’important relais auprès des Iranian-Americans. Or, avec la réélection du président iranien, le Dr. Hassan Feridon Rohani (à 57%), ces Iranian-Americans, quels que puissent être les doutes que nombreux d’entre nourrissent sur l’accord sur le nucléaire iranien et le régime, restent majoritairement sceptiques quant à une via factis contre un Iran où la plupart ont encore des attaches ;
3- Trump a d’important relais auprès des Arab-Americans (au sens large). Et au sein de ces derniers beaucoup de Chrétiens d’Orient. Qui, eux, ne savent que trop que leur ennemi est bien l’extrémisme sunni qu’est le Takfir.
Q. Quelle va être la réaction des Iraniens, face à la volte-face de l’administration Trump ?
Jacques Borde. Rien. Rien de direct, en tout cas. De deux côtés, nous en resterons au niveau des discours.
Même à Jérusalem, Trump est resté étonnamment flou dans ses incantation anti-iraniennes, affirmant simplement que « Les dirigeants iraniens appellent régulièrement à la destruction d’Israël », puis s’écartant du texte, « Mais pas avec Donald J Trump, croyez-moi… ».
À Téhéran, passés les errements de l’ère de l’agité du bocal Ahmadinéjad, le Vézarat-é Kharejeh8 a repris ses marques. Et même le Rahbar-é Enqelâb (guide de la révolution), l’Ayatollah Sayyed Ali Hossaini Khâmeneî9, est trop habile manœuvrier pour oublier que depuis bientôt vingt ans, les Américains ont, surtout, mis à genoux des ennemis de… Téhéran : Taliban, Saddam Hussein et, à terme… DA’ECH. Et que, depuis 1979, ils disent pis que pendre de l’Iran islamique et de sa révolution.
Alors, autant faire le gros dos et laisser passer l’orage. Sans compter l’ouverture probable d’un nouveau front du djihâd par DA’ECH qui risque de déplaire fortement à la diplomatie US.
Q. Lequel ?
Jacques Borde. Un signe, pourtant passé sous le radar de nombreux spécialistes (ou supposés tels) aurait dû nous alerter. Adressant une lettre aux 12.000 officiers de la Bhāratīya Vayu Sēnā10, l’Air Chief Marshal Birender Singh Dhanoa leur a demandé de se préparer à de nouvelles opérations avec un préavis très court. Le Marshal Dhanoa faisant explicitement référence à une menace terroriste au Jammu et Cachemire. Donc, pour que les choses soient bien claires : un terrorisme à 100% sunni. Précision d’importance à ce niveau de cet entretien : les sponsors de ce terrorisme cachemiri ont toujours été des Séoudiens.
Je me souviens avoir traité de ce terrorisme d’inspiration wahhabî dans mon livre Pourquoi l’Amérique – 11 septembre, parue aux Éditions Avatar, en 2001.
À savoir que par le passé, seuls deux officiers supérieurs indiens ont eu à adresser une missive de cette nature à leurs subalternes : le Field Marshal K. M. Kipper Cariappa le 1er mai 1950 et le général Krishnaswamy Sundarji le 1er février 1986.
Q. Plus clairement, ce qui signifie ?
Jacques Borde. Ce qui confirme ce que l’on savait déjà :
1- que des pans entiers de l’armée d’Al-Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (DA’ECH)11 abandonnent la Syrie pour le Cachemire via le Pakistan.
2- que l’accès au front du djihâd syrien, vu la jonction en train de se faire entre, d’un côté, l’Al-Jayš al-’Arabī as-Sūrī (AAS)12 et ses alliés et, de l’autre, les troupes de Bagdad et une poignée de formations paramilitaires, notamment les durs à cuire du Hachd al-Chaabi (PMU)13, ne sera bientôt qu’un souvenir.
Or, il n’échappera à personne que l’Inde est un des pays que l’Amérique courtise le plus depuis quelque temps. Il est donc peu certain que Delhi, qui a des relations normalisées avec Téhéran, soit un chaud partisan de l‘Iran bashing trumpien. Ce dans la mesure où cet Iran bashing leur apparaîtra comme un important facteur de déstabilisation régionale.
Q. Vous soutenez toujours l’irrécupérabilité des djihâdistes, y compris par le biais de structures de déradicalisation…
Jacques Borde. Oui toujours. Ces structures sont inadaptées et/ou inopérantes. Elles servent surtout à assurer, assez grassement la plupart du temps, le quotidien de ceux qui en font leur activité. Au point de conduire certains (et certaines) de ceux qui s’en occupent devant les tribunaux.
Et, pendant de ce temps, dans l’indifférence des media (mais faut-il s’en étonner lorsqu’on constate la facilité d’adeptes du takfirî à intégrer tel ou tel mouvement politique de la gauche systémique), Sarah Lucy Halimi Attal, une de nos compatriotes juives de 66 ans, à été défenestrée par son voisin depuis 30 ans, dans la nuit du 3 au 4 avril 2017. Un délinquant (sic) connu par des services de police.
Q. Est-on sûr que cette affaire relève du terrorisme ?
Jacques Borde. Ce qui est absolument sûr, c’est qu’elle relève de l’antisémtisme et que l’élimination des juifs parce que juifs fait partie du programme d’Al-Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (DA’ECH).
À l’interrogatoire, le mis en examen comme on dit aujourd’hui, a justifié son acte par le Coran. Meutre+Coran+juif. Si nous ne nous sommes pas là dans le triptyque de la doxa antisémite des Takfirî, où sommes-nous ?
Bizarrement, si cet assassinat barbare a bien fait la une des journaux, quasiment aucun n’a mentionné le caractère antisémite de cet acte. La famille demande à ce que ce crime soit reconnu comme ce qu’il est : une nouvelle manifestation de la haine antisémite.
Q. Donc, le comportement des media ne s’arrange pas, selon vous ?
Jacques Borde. C’est le moins qu’on puisse dire. Comme l’a noté Daoud Boughezala dans Causeur, nous sommes dans, notamment pour certains d’entre eux, dans la « stratégie du déni ». Comme Arte, qui « déprogramme préventivement un documentaire sur le nouvel antisémitisme, qui n’a pas l’accent teuton »14.
Décidément, pour certains, l’infréquentabilité est bien à géométrie variable…
Notes
1 Conseil de coopération du Golfe.
2 RT .
3 RT .
4 Le ministère de l’Intérieur britannique.
5 RT .
6 RT .
7 ou Association de la Confrérie des musulmans, autrement dit les Frères musulmans (FM),
8 Ministère iranien des Affaires étrangères.
9 Aussi appelé Rahbar-é Moazzam (guide suprême, pas une titulature officielle).
10 Armée de l’air indienne.
11 Ou ÉIIL pour Émirat islamique en Irak & au Levant.
12 Armée arabe syrienne.
13 Ou Popular Mobilisation Unit/Unité de mobilisation populaire.
14 La Chapelle-Pajol : “Télérama” détourne les regards .
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