Un p’tit air de JFK Vs Khrouchtchev tout de même…
De toute évidence, Emmanuel Macron est un homme de communication. Ses premiers pas à l’international auront donc été marqués, outre une nouvelle solennité (jupitérienne, à l’entendre) rompant avec la présidence normale (sic) de son prédécesseur, par certains marqueurs : 1- tenir la dragée haute à Vladimir V. Poutine, sur la question syrienne, notamment ; 2- temporiser sur la question du Qatar & 3- déplacer les bornes de la lutte antiterroriste dans un sens plus régalien &, espérons-le, plus efficace.
Q. Donc, il semble que l’administration Macron va sensiblement durcir sa réponse au terrorisme ?
Jacques Borde. C’est, en tout cas, ce que laissent penser certains éléments parus dans la presse…
Q. Sur le front intérieur ou sur le front extérieur ?
Jacques Borde. (Sourire) Les deux, mon colonel !
Sur le front intérieur, Le Monde a révélé que le gouvernement d’Édouard Philippe souhaitait faire passer l’us de l’état d’urgence dans le droit commun…
Q. Et ça vous inspire quoi, au juste ?
Jacques Borde. Sur le principe, je ne suis pas contre. On ne peut pas, à la fois, pester contre l’incurie sécuritaire qui a été un des marqueurs de la précédente administration et, maintenant, pousser des cris d’orfraie si Macron, une fois aux commandes, s’attelle à la tâche !
De facto (et quelque part de jure) l’état d’urgence a déjà été reconduit à quatre reprises, depuis les attentats de novembre 2015. La dernière fois, c’était en décembre 2016 pour une prolongation jusqu’en juillet 2017.
Alors, oui, pourquoi ne pas songer à un nouveau cadre légal. D’où ce nouveau projet de loi antiterroriste, dont quasiment toutes les mesures entreraient dans le droit commun. Seulement pour des questions de terrorisme. Nous dit-on.
Q. Lesquelles sont-elles ?
Jacques Borde. Si je m’en réfère au titre-phare de notre presse vespérale, celui-ci écrit qu’« Assignations à résidence, perquisitions administratives, fermetures de lieux de culte, zones de protection et de sécurité, toutes ces mesures emblématiques du régime d’exception créé en 1955 pendant la guerre d’Algérie et étoffé par touches successives depuis les attentats du 13 novembre 2015, devraient se retrouver dans la loi ordinaire avec quelques modifications marginales. Elles ne pourront néanmoins s’appliquer qu’à la matière antiterroriste (…). La marque de fabrique de cette transposition est que l’autorité judiciaire est maintenue à l’écart. Toutes ces mesures resteront l’apanage du ministère de l’Intérieur et des préfets, sans l’intervention d’un juge judiciaire ».
Globalement positif, dirai-je.
Q. Vous partagez les restrictions du Monde quant au pouvoir judiciaire ?
Jacques Borde. A priori, pas du tout. Certes, verbatim Le Monde, « Plusieurs personnes et autorités s’inquiètent de ce choix de la part du premier gouvernement Philippe. Les magistrats ont d’ailleurs protesté et plusieurs associations réclament le retrait du projet de loi antiterroriste qui doit être examiné en conseil des ministres dans une semaine, le 21 juin ».
Bon, et après ! J’ai, personnellement, le plus profond mépris pour cette caste magistrale qui se préoccupe davantage des droit de la racaille et des terroristes takfirî.
Si le souci du gouvernement est de :
1- mettre un peu d’huile dans les rouages et faire que la rigueur de l’État s’abatte le plus violemment possible sur les partisans et groupies de la doxa takfirî, pourquoi pas ?
2- mettre à l’écart et/ou au pas ces mauvais magistrats. Tant mieux.
Ce que j’espère, c’est que l’administration Macron n’usera pas de ce basculement de, ou des, mesures qui entreront dans le droit commun pour en faire un outil de bâillonnement de ses ennemis politiques.
Q. Donc vous êtes plutôt pour ?
Jacques Borde. Oui, plutôt pour. J’ajouterai ceci :
Je suis plutôt de l’avis de Me. Collard que de celui de Mélenchon. Le premier estimant être prêt à appuyer ce qui va dans l’intérêt de la République, de la chose publique, la Res publica.
Maintenant, nous verrons ce qu’il en adviendra. Beaucoup comparent Macron à Kennedy. Pourquoi pas ? Sauf que je note que la lutte de l’administration Kennedy contre le crime organisé n’est pas allé très loin. Certains y voyant l’empreinte de certaines familles du milieu irlandais, qui avaient su prospérer dans l’acheminement d’alcools de grain canadiens au temps de la Prohibition.
Q. Comment jugez-vous le discours de Macron sur la Syrie ?
Jacques Borde. Le président Macron, est assurément quelqu’un qui maîtrise au mieux les arcanes de la communication. Passons sur les échanges aigre-doux sur ces media russes qui, à l’entendre, n’en seraient pas. Malgré l’estime que je porte à nos confrères de Sputnik et de RT, cette querelle picrocholine n’a que peu d’intérêt. Géopolitiquement et géostratégiquement, je veux dire.
Q. Alors qu’est-ce qui en a ?
Jacques Borde. L’avertissement très ferme de Paris à propos de ce que qui sera passé à l’Al-Jayš al-’Arabī as-Sūrī (AAS)1 et à l’Al-Qūwāt al-Jawwīyä al-Arabiya as-Sūrī (FAAS)2 dans leur guerre contre la terreur takfirî. Le régime de Paris Vs le régime de Damas, pourrait-on dire !
Q. Un vainqueur dans cet échange ?
Jacques Borde. Oui, le boss du régime de Paris a mouché celui du régime de Moscou, si je puis continuer sur cette lancée. Notons, toutefois que :
1- c’était le président français qui recevait, il avait donc, quelque part, l’avantage d’être sur son terrain ;
2- Poutine, lui était plutôt là en observateur.
Amen. Entre parenthèse, pas très réactif, le petit père du peuple cru 2017 ! Espérons (pour sa géopolitique) que lorsque nos Rafale iront tapisser de bombes des cibles syriennes sous la bulle protectrice (sic) supposément tissée au-dessus de la Syrie, il retrouvera son franc parler…
Q. Vous avez l’air de tenir ces raids pour acquis ?
Jacques Borde. Oui, tout à fait. Je pense que le président Macron, était tout à fait sérieux. C’est bien une ligne rouge qu’il vient de poser dans nos relations avec Damas et Moscou.
Q. Et ça n’est pas risqué ?
Jacques Borde. Face aux Russes ? Pourquoi donc ? Je vous rappelle qu’on parle des mêmes Russes qui :
1- n’ont même pas fait un tir de semonce sur un appareil turc après qu’un de leurs Su-24 Fencer se soit fait shooter, le 24 novembre 2015, par une paire de F-16C/D de la Türk Hava Kuvvetleri (THK)3. Pour la forme, rappelons que, le 23 mars 2014, un F-16C turc abattait déjà un MiG-23 Flogger de l’Al-Qūwāt al-Jawwīyä al-Arabiya as-Sūrī (FAAS).
2- ont laissé passer (sic) tous les raids de l’Heyl Ha’Avir Ve’Hahalal4 visant des cibles syriennes ou pro-iraniennes (Hezbollah, principalement).
3- ont laissé passer tous les raids de la coalition pro-US.
Tout ceci laisse supposer que les Russes ne bougeront pas le petit doigt si la France décide de répondre (sic) à un franchissement de la ligne rouge édictée par Macron.
Q. Donc vous pensez que les Syriens franchiront cette ligne rouge ?
Jacques Borde. Non. Ce que je dis, c’est qu’à un moment donné tout donnera à penser que cette ligne rouge a été franchie. Et qu’à ce moment-là, notre armée de l’Air passera à l’action.
Q. Sans mandat des Nations-unies ?
Jacques Borde. Où est le problème ? La via factis de l’OTAN sur l’ex-Yougoslavie, à laquelle la France a pris une part prépondérante, s’est faite sans mandat onusien.
Q. Une première pour la France ?
Jacques Borde. En Syrie, oui. Mais, encore une fois, la France n’a guère barguigné à intervenir en ex-Yougoslavie.
Q. Pourquoi ce manque de réactivité du côté russe ?
Jacques Borde. Pour plusieurs raisons, en fait.
1- parce que le Grand jeu russe a ses spécificités qui sont les siennes. Lisez donc l’excellent papier de Caroline Galactéros sur son blog Bouger les lignes, Cf. Crise du Qatar : Mise au pas de l’Émirat avec l’Iran en ligne de mire;
2- nos spécificités, comme celles des États-Unis, ne sont pas les mêmes ;
3- les Russes se projettent dans un temps plus long que les Occidentaux. Ils misent sur la progression continue et par capillarité de leurs alliés au sol. Syriens et pro-iraniens, pour faire simple.
Q. Et ce temps long, ça n’est pas risqué ?
Jacques Borde. Si, énormément. C’est bien là le problème. Mais, je pense que tout le monde oublie un facteur essentiel de cette guerre. Pour les Russes, je veux dire.
Q. Lequel ?
Jacques Borde. L’agent, pardi ! Le Kremlin a beau plastronner, nos amis russes sont tout simplement fauchés ! Ils ont la politique extérieure, au Levant comme ailleurs, de leurs moyens. De moins en moins d’avions. Pas de troupes au sol, exceptés quelques forces spéciales, leurs fameux Spetsnaz5. Mais guère plus.
Q. Que faites-vous des S-300 et S-400 ?
Jacques Borde. Rien. Je vous rappelle que, jusqu’à présent, ces mirifiques engins n’ont jamais servi contre qui que ce soit. À se demander même si ceux positionnés en Syrie sont opérationnels. Enfin nous verrons bien…
Q. Quid du Qatar, une pomme de discorde entre Paris et Moscou ?
Jacques Borde. Un peu, oui. Mais à la marge.
Q. Comment ça, à la marge ?
Jacques Borde. Vous aurez noté l’extrême prudence de l’administration Macrons sur le sujet. En fait, plusieurs choses sont à garder à l’esprit :
1- les seuls à être vraiment remontés contre le Qatar, au point d’être tentés par une via factis à son endroit, sont le roi d’Arabie Séoudite, Salmān Ibn-ʻAbd al-ʻAzīz Āl-Séʻūd, et son ministre de la Défense, Mohamed Ibn-Salmān Āl-Séʻūd, les vrais patrons du pays ;
2- Paris et Moscou ont trop d’œufs dans le panier qatari, pour en faire un casus foedi ;
Donc, il se peut que l’affaire qatarie n’aille pas si loin que l’analyse Caroline Galactéros (mais qui a tout à fait raison de nous en énoncer toutes les possibilités).
In fine (JFK) Macron et (Khrouchtchev) Poutine n’ont probablement pas vocation à trop faire chauffer la colle. Ligne rouge ou pas…
Notes
1 Armée arabe syrienne.
2 Force aérienne arabe syrienne.
3 Armée de l’air turque.
4 Armée de l’air israélienne, anciennement dénommée Sherut’Avir.
5 Spetsnaz est la contraction de Spetsial’noïe Naznatchéniyé (nom complet Voyska Spetsialnogo Naznacheniya, forces à désignation/but spécial).
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