
L’Europe hespériale de Daniel Cologne
Éléments pour un nouveau nationalisme est une brochure que Daniel Cologne publie au Cercle Culture et Liberté en 1977. Très vite épuisée, elle était introuvable chez les bouquinistes. Quelques semaines après la parution de sa traduction espagnole aux éditions Letras Inquietas accompagnée du verbatim d’une conférence prononcée à Lausanne sur « L’illusion marxiste » qu’on trouve dans Défense de l’Occident, la revue de Maurice Bardèche (1). Cette brochure redevient enfin disponible.
Il y a plus d’un an, Daniel Cologne a proposé aux éditions Les Bouquins de Synthèse nationale de rééditer ce fascicule ô combien pertinent quarante-cinq ans plus tard. Il paraît sous la forme d’un recueil qui contient, en plus de la substantielle brochure, vingt-cinq articles extraits de Défense de l’Occident, de la revue traditionaliste radicale – intégrale française Totalité et du défunt site identitaire francophone Europe Maxima. Ce livre offre une excellente mise en perspective de haute volée.
Auteur dans chaque Synthèse nationale des « Biographies littéraires » et collaborateur à Culture Normande, Daniel Cologne insiste sur la découverte des écrivains étrangers de langue française, en particulier pour ses compatriotes belges ou pour des auteurs suisses. Son intérêt pour la littérature est ancien. Toutefois, il méconnaît le phénomène Houellebecq ainsi que l’école dite des « Hussards ».
Son autre grand centre d’intérêt est l’astrologie. Pour n’importe quel quidam questionné pris dans la rue, l’astrologie se confond avec l’horoscope propre à la presse féminine en face du courrier du cœur et aux émissions radiophoniques qui expliquent que le Verseau sera cet après-midi agacé par un Sagittaire… L’interprétation qu’il donne à l’astrologie est tout autre et correspond à la conception traditionnelle du monde. C’est Colbert qui expulsa la matière de l’université. Il ne faut donc pas s’étonner si certains passages de l’ouvrage se réfèrent ouvertement à la compréhension pointue des signes astraux. Un autre grand penseur du XXe siècle, Raymond Abellio, usa dans ses écrits de l’astrologie. Sa formation polytechnicienne, versée en mathématiques ardues, lui permettait d’intégrer dans son analyse ordonnée par la « Structure absolue » des systèmes d’équations, la guématrie biblique, les données psychologiques, l’influence astrologique et la sphère sénaire. Cependant, Éléments pour un nouveau nationalisme et autres écrits vers un idéal hespérial participe au grand combat culturel « vu de Droite » idéale européenne.
Au-delà de l’Occident
Ballotté par les aléas de la vie, Daniel Cologne n’a jamais renoncé aux joutes intellectuelles. Cette réédition en est une preuve flagrante. On doit néanmoins s’interroger sur cet « idéal hespérial » quelque peu énigmatique. La traduction française de La Parole d’Anaximandre de Martin Heidegger mentionne l’Hespérie et non l’Occident. Dans Éléments d’avril – mai 1980, qui réclamait la civilisation occidentale, Guillaume Faye écrit que l’Hespérie « ne désigne pas l’Ouest, ni les régions occidentales du monde, mais bien plutôt un projet d’organisation du monde qui marquerait le couchant, c’est-à-dire l’accomplissement d’une vue-du-monde aurorale exprimée au VIIe siècle avant notre ère par le premier penseur européen. […] L’hespérial représente en même temps la fin, le couchant de la tradition métaphysique grecque, et le début virtuel d’un autre cycle qui accomplirait la pensée grecque à un autre niveau, celui de la volonté-de-puissance auto-consciente. L’hespérial est donc à la fois un recommencement, un retour profond à l’aurore, c’est-à-dire à la conception grecque du monde, et une rupture avec l’occidental qui, lui, a oublié la Grèce. Revenir en Hespérie, pour nous Européens, consisterait alors à accomplir notre volonté-de-puissance en tant qu’Européens, conscients de notre filiation grecque, et non plus en tant qu’Occidentaux oublieux de cette filiation (2) ». Bien plus tard, lors de son moment « archéofuturiste » à partir de 1998 – 1999, il l’écarte finalement et privilégie ceux d’« Eurosibérie » et de « Septentrion ». Bruno Pinchard emploie, lui aussi, cette conception singulière. « Le dieu du soleil montre le chemin de l’Hespérie, écrit ce romaniste. Hespérie est le nom le plus propre de cette terre qui sera un empire parce qu’elle n’a jamais été une patrie. C’est en Hespérie que le comble de la terre sans naissance sera atteint (3). » Plus récemment, c’est un professeur belge originaire de la communauté germanophone, David Engels, qui a forgé à partir de ce précédent sémantique le concept d’« hespérialisme » qu’il décline dans un ouvrage collectif récent (4).
Professeur d’histoire romaine, David Engels est profondément marqué par la philosophie de l’histoire d’Oswald Spengler, principalement exposée dans les deux tomes du Déclin de l’Occident. Enseignant à l’Instytut Zachodni de Poznań en Pologne, il soutient sous ce vocable un système de valeurs conservatrices dans un cadre concerté européen de souverainetés nationales solidaires. Par « hespérialisme », il écarte aussi bien le nationalisme souverainiste, l’indépendantisme régionaliste que l’européisme cosmopolite, voire un certain occidentalisme. S’oppose-t-il à l’atlantisme ? L’ambiguïté perdure sur ce dernier point.
Pour Daniel Cologne, il serait préférable d’évoquer « l’Hespérie en lieu et place de l’Europe ou de l’Occident. Le Couchant retrouve ainsi sa vocation cosmique de porte du Nord. Notre péninsule ravive ainsi sa fonction héroïque de gardienne de la spiritualité primordiale, qui concilie l’Un et le Multiple. L’idéal hespérial est un empire d’autant plus cohérent que sont différenciées ses parties constitutives : nations, régions, castes, corporations ». Il poursuit que « l’Hespérie a pour vocation de coexister dans un climat de respect réciproque, avec le “ reste du monde ”, y compris l’un ou l’autre califat turc, arabe ou subsaharien. Le “ reste du monde ” ne doit pas être un agrégat d’« hommes sans nom », d’individus saisis “ dans la nudité de leur visage ” (Emmanuel Levinas), mais une mosaïque de communautés différenciées “ persévérant dans leur Être ” (Heidegger). L’Hespérie a pour mission d’intensifier, entre le christianisme et le paganisme, cette “ joute nuptiale ” qu’a si bien évoquée Luc-Olivier d’Algange ». Il ajoute que « l’idéal hespérial est de restituer la transversalité des normes hiérarchiques par-delà les suprémacismes raciaux, les préjugés sexistes et les fanatismes confessionnels, autant de “ machines à fabriquer de la haine ” ». Il serait cependant navrant de n’y voir qu’une simple interpellation métapolitique.
Le monde moderne, névrose de notre temps
Outre Éléments pour un nouveau nationalisme, le livre s’organise autour de quatre thèmes autant historiques que géopolitiques et philosophiques. Se plaçant volontiers « en marge de la “ Nouvelle Droite ” », Daniel Cologne développe « une géopolitique boréenne », décrit fort bien les liens entre « Identité européenne et quête spirituel » et émet de puissantes « Considérations sur notre temps ».
La recension de la biographie de Roland Pirard, Adolphe Hitler. Sa véritable histoire, publiée en 2007, est, par exemple, un modèle de liberté intellectuelle. « Il nous y présente un Hitler républicain, rationaliste, scientiste, “ dingue de la technique ”, selon les propres termes du Führer. Selon l’auteur, la pensée d’Hitler ne recèle aucune trace de l’occultisme romantique se référant à une germanité mythique qui serait héritière d’un âge d’or. Si une telle idée a pu s’insinuer dans le national-socialisme, ce serait par l’intermédiaire d’un Himmler ou d’un Rosenberg, pour le “ mysticisme ” desquels le Führer “ manifestait un mépris goguenard ”. » Il revient par ailleurs sur « La “ théorie du complot ” et sa place dans la Modernité ». Ainsi, estime-t-il, que « tout comme la paranoïa et la schizophrénie sont les deux faces d’une même maladie mentale, ainsi le “ complotisme ” et le “ progressisme ” sont-ils deux visions historiques solidaires, dont l’une a besoin de l’autre et dont la complémentarité assure le maintien du Système à tuer les hommes et les peuples ». Avec « L’Europe transfigurée de Raymond Abellio », Daniel Cologne étudie avec talent en 2010, soit bien avant de découvrir l’« hespérialisme », Assomption de l’Europe, « un ouvrage d’une rare densité ». Il prévient que « Raymond Abellio nomme “ Occident ” ce germe spirituel enfermé au cœur de l’Europe. Dans l’acception abellienne du terme, l’Occident n’est donc nullement l’ensemble transatlantique euraméricain. Il ne s’identifie pas davantage à des États-Unis imbus de leur cocktail mercantiliste-belliciste, dont l’Europe devrait se distancier au nom du droit international ou de la primauté du spirituel. Pour Abellio, l’Europe doit devenir Occident pour se transfigurer. L’Occident, c’est l’Europe sublimée ».
On retrouve cette « sublimation de l’Europe » au sens chimique, voire alchimique, dans Éléments pour un nouveau nationalisme. À l’heure où s’affirment de l’Irlande du Nord aux confins ukrainiens en passant par la Catalogne et la Corse des frictions identitaires, Daniel Cologne estime que « le seul moyen de résoudre l’épineuse question des ethnies, dont le réveil menace les nations d’éclatement, est d’ouvrir les nationalismes sur l’Europe. D’une part, le nationalisme doit emprunter à la grande tradition politique de notre continent la notion d’État organique qui concilie l’unité nécessaire à toute société évoluée avec le respect, voire l’encouragement de sa diversité naturelle. Conçu de façon organique, le nationalisme s’accommode d’une certaine autonomie des régions. D’autre part, si la nation, loin de s’ériger en un absolu, se considère seulement comme une composante autonome du grand ensemble organique européen, les régions et les ethnies n’auront aucune peine à se considérer comme les incarnations nécessaires du principe de diversité au sein de la grande unité nationale. Dans une Europe organique des nations organiques, être breton ou français, basque ou espagnol, flamand ou belge, jurassien ou suisse ne sont que des manières parmi d’autres d’être européen. ».
Sacralité de l’héroïsme
Sur les traces du critique littéraire allemand Leo Spitzer, Daniel Cologne adopte le concept d’« étymon spirituel européen » afin d’expliquer le dynamisme plurimillénaire de la civilisation européenne. « L’héroïsme est l’étymon spirituel européen, l’idée-maîtresse de notre culture, la constante de notre tradition s’exprimant à travers toutes les activités de notre esprit : arts, lettres, sciences. Des cathédrales gothiques aux portraits de condottieri renaissants, des épopées d’Homère à la Chanson de Roland, de Prométhée à Faust se dégage une métaphysique de l’Europe dont le vrai sens (en grec étymon) est héroïque ». Or, « du monde traditionnel au monde moderne se produit une catamorphose de la mentalité héroïque ». C’est la raison pour laquelle il importe de renouer avec les centres tangibles de la spiritualité continentale tels « Le Mont Athos : un lieu de légende ». Dans une fantastique approche de ce lieu, il estime que « cette montagne sacrée gardait le souvenir de la victoire des dieux sur les titans (ou géants) ». Il est clair que pour lui, cet endroit prestigieux « paraît avoir été le réceptacle d’influences spirituelles majeures liées à un rétablissement de la Sagesse des origines : recherche d’harmonie et d’équilibre entre les contraires, entre Connaissance et Puissance ».
Dans son excellente préface, Rémi Tremblay a bien saisi que Daniel Cologne « refuse la fausse opposition des deux côtés de la médaille du matérialisme, il y voit une fausse opposition : choisir son asservissement en sélectionnant son maître du moment n’est pas un programme politique digne de ce nom ». Voilà pourquoi Daniel Cologne écrit que « la Sagesse primordiale mérite davantage le nom de “ pérennialisme ” (repris dans l’ouvrage de Sedgwick) que celui de “ traditionalisme ”, lourd de connotations réactionnaires. Tournons-nous vers le passé pour en projeter les clartés vers le futur, en concurrence loyale avec les “ Lumières ” modernes qui s’arrogent aujourd’hui le droit de clore l’Histoire ».
Le recueil de Daniel Cologne n’est qu’un bref aperçu d’une pensée riche, foisonnante et complexe. Éléments pour un nouveau nationalisme et autres écrits vers un idéal hespérial mérite d’être lu, compris et médité à l’heure de la mise en place d’un nouvel ordre sanitaire mondial qui « nous inoculent les poisons de l’incertitude et de la peur ». Par son regard pessimiste, tragique et lucide, Daniel Cologne conserve toutefois son espoir dans l’esprit européen. La loi d’airain des cycles montre que tout s’achève tôt ou tard par une renaissance énergique. Les convulsions pandémiques du coronavirus ne seraient-elles pas les signes avant-coureurs de ce renouveau et de ce recommencement historiaux ?
Notes
1 : Voir notre recension « Le Belge Daniel Cologne », mise en ligne sur Vox NR – Les Lansquenets, le 17 octobre 2021.
2 : Guillaume Faye, « Quand l’Occident a oublié la Grèce », dans Éléments, n° 31, avril – mai 1980.
3 : Bruno Pinchard, « Hespérie ou la Terre du Soir. Contribution virgilienne à une politique “ occidentale ” », dans Études, 2002/3, tome 396.
4 : On lira l’ouvrage qu’il a dirigé, Renovatio Europæ. Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l’Europe, Éditions du Cerf, 2020.
• Daniel Cologne, Éléments pour un nouveau nationalisme et autres écrits vers un idéal hespérial, préface de Rémi Tremblay, Synthèse nationale, coll. « Idées », 2022, 226 p., 22 €.