Avant de s’installer définitivement dans cette région de l’Asie occidentale à laquelle ils ont donné leur nom: la Turquie, les Turcs ont émigré au cours des âges, depuis les régions orientales de l’Asie jusqu’en Europe centrale. Le problème de l’origine des turcs est demeuré assez obscur et seules les sources chinoises nous apportent quelques renseignements sur des peuplades nomades qui, vers le 2ème millénaire av. JC, se trouvaient dans les étendues situées à l’ouest de la Chine septentrionale jusqu’aux environs du lac Baïkal(une région qui aujourd’hui correspond grosso modo à la Mongolie) De tout temps, les habitants de ces régions ont été avant tout des cavaliers nomades, pasteurs et chasseurs, vivant sous la tente. Ils semblent s’être organisés très tôt en tribus et en clans. Ignorant ou méprisant l’agriculture et l’industrie, en revanche ils pratiquent volontiers le pillage des pays voisins. Réfugiés dans leurs contrées difficiles d’accès, ils sont à l’abri des poursuites, mais constituent un danger permanent pour les régions limitrophes, et si parfois une autorité extérieure s’impose à eux, elle est le plus souvent nominale. Ces nomades ont formés trois groupes principaux: les Turcs, les Mongols et les Toungouzes, ancêtre des actuels Mandchous. Ces groupes se mélangent assez facilement et ils forment alors ce qu’on pourrait appeler des confédérations de peuples dont les trois principales sont les suivantes:
Les Hiong-Nou: les annales chinoises du 2ème millénaire mentionnent sous ce nom des peuplades nomades du nord ouest de la Chine, notamment la région de l’Ordos. Il n’est pas absolument sûr que les Hiong-Nou aient tous été des Turcs mais l’élément turc devait y être prépondérant. Sur eux nous savons juste qu’au 4ème siècle av. JC ils sont chassés du Chen-Si et qu’au 3ème siècle ils s’installent en Mongolie intérieure (leur capitale se trouvant dans la région de l‘Orkhon) L’Etat Hiong-Nou atteindra son apogée sous le règne de Mao-Touen (3ème-2ème siècle) mais par la suite, déchirés par des querelles internes, les Hiong-Nou seront vaincus par les chinois (44 ap. JC) et se scindent alors en deux groupes: les Hiong-Nou orientaux et les Hiong-Nou occidentaux qui, poussés par les Jouan-Jouan (une tribu mongole) se déplaceront vers l’ouest, traversant l’Oural, et se feront connaître en Europe sous le nom des Huns.
Les Tou-Kiu: au début du 6ème siècle, l’Asie Centrale est sous la domination des Jouan-Jouan. Ces derniers doivent réprimer de nombreuses révoltes de tribus turques dont celle des Tou-Kiu, dirigé par Boumyn. Celui-ci, allié à la dynastie chinoise des Wei, triomphe des Jouan-Jouan, prend le titre de Kagan (souverain) et fonde l’Empire Tou-Kiu centré sur le Haut-Orkhon. A sa mort en 552, son fils aîné (Mou-Han) récupère la Mongolie tandis que le cadet (Istemi) règne sur la Dzouingarie, la région des Sept-Rivières et la Haut-Yrtych. Ce dernier fondera la dynastie des Tou-Kiu occidentaux avant de conquérir la Sogdiane. Plus tard (vers 595), son fils va conquérir le Kouban, la Crimée et la Bactriane, mais c’est le début de la fin puisque l’Empire Tou-Kiu va connaître une longue période de déclin et d’anarchie, malgré une tentative de recréer un empire puissant de la Chine à la Sogdiane, tentative qui durera en tout et pour tout 5 années et au milieu du 8ème siècle l’empire cesse totalement d‘exister.
Les Ouïgour: à cette époque justement, deux grandes puissances se sont constituées en Asie: l’Empire chinois et l’Empire arabe; les Turcs quand à eux, sont répartis en trois groupes principaux: les Karlouk, dans la région des Sept-Rivières, les Kirghiz, près du lac Balkach et les Ouïgour, installés sur l’Orkhon, à Karabalgasoun. C’est ce dernier groupe qui a pris la succession des Tou-Kiu orientaux. Le premier kagan Ouïgour intervient en Chine puis son fils s’empare de la capitale chinoise Lo-Yang où il se convertit au manichéisme par le biais des missionnaires. C’est d’ailleurs par les prêtres manichéens que les Ouïgour vont adopter l’alphabet sogdien (ce qui aura son importance quelques siècles plus tard dans l’islamisation des Turcs) Pendant près d’un siècle, l’Etat ouïgour de Mongolie sera un centre de civilisation intellectuelle et artistique avant de s’effondrer en 840 sous les coups des Kirghiz. Quelques années plus tard un royaume ouïgour se constitue dans le Turkestan chinois, tandis qu’un groupe plus restreint s’installe en Chine, dans le Kan-Sou (ce sont les ancêtres des actuels Sary Ouïgour) Les Ouïgour du Turkestan vont recréer une civilisation encore plus brillante qu’en Mongolie qui va durer jusqu’au 13ème siècle. L’Etat qu’ils constituent est à la fois agricole, commerçant et intellectuel et trois religions s’y côtoient (bouddhisme, nestorianisme et manichéisme) C’est avec les Ouïgour que le Turkestan occidental, jusqu’alors région indo-iranienne, se turquifie. Ainsi on assiste à un déplacement progressif des éléments turcs vers l’ouest: supplantés en Mongolie par les Kitan, une tribu mongole, les Ouïgour font des régions comprises entre le Turkestan et la mer d’Aral leur domaine. C’est à partir de cette époque qu’ils voisinent directement avec diverses tribus iraniennes, notamment les Sogdiens, islamisées depuis plus d’un siècle.
C’est donc par les Iraniens que les Turcs vont être convertis à l’Islam: en effet, en Transoxiane domine la dynastie iranienne des Samanides, dont la capitale est Boukhara. Les Samanides mènent régulièrement des expéditions en pays turc et en ramènent des prisonniers qui deviennent esclaves ou sont incorporés comme soldats. L’armée samanide se turquifie alors que dans le même temps, au contact des musulmans, les Turcs se convertissent à l’Islam. En 961, Alp Tekin, esclave du souverain samanide, Abd al-Malik I, est nommé gouverneur du Khossaran; destitué par le fils du souverain il finit par se retirer progressivement en Afghanistan où, en 962, il fonde l’Etat des Ghaznévides. En 977, Sebuk Tekin, leur souverain, intervient chez les Samanides pour protéger leur roi contre les assauts d’autres Turcs, les Kara-Khanides (selon toute probabilité descendants des Kalouk), et reçoit définitivement la région du Khossaran comme récompense. Mahmoud, son fils, consacrera son règne aux conquêtes et aux pillages (anéantissement des Samanides, incursions en Inde, guerre contre les Kara-Kanides...) sans jamais se soucier de turquiser ou d’islamiser les pays conquis; au contraire il a même contribué à étendre le domaine d’influence des iraniens. Quand à son petit-fils, Mas’oud, il continuera la lutte contre les Kara-Kanides mais sera vaincu en 1040 par de nouveaux arrivants turcs: les Seldjoukides et les Ghaznévides sont alors rejetés vers l’est, en Afghanistan et en Inde.
La tribu des Seldjoukides tire son nom d’un de ses chef: Seldjouk. Cette tribu se trouvait, à la fin du 10ème siècle, sur la rive gauche du Syr-Saria, d’où elle passe en Transoxiane, puis dans la région de Boukhara. A cette époque et sous la direction de Seldjouk, la tribu se convertit à l’Islam et oeuvre à la libération des populations musulmanes du joug des non musulmans, renouant ainsi avec l’Islam conquérant des Omeyyades et des premiers Abbassides.
De leur côté les Kara-Khanides ont beaucoup plus contribué à la turquisation et à l’islamisation des régions qu’ils occupent que leurs ennemis Ghaznevides: en effet ce sont eux qui, au début du 10ème siècle, ont fondé le premier Etat turc musulman même si leur influence politique n‘a jamais été très grande.
Quoiqu’il en soit, à ce moment là, l’élan vers l’Ouest est commencé et désormais l’histoire du Moyen et du Proche-Orient va devenir un “fait” turc et non plus un “fait” arabe.