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Lundi, 29 Décembre 2003
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Les Mojahedin-e Khalq-e Iran, un radicalisme iranien en exil
Navvâb Safavi
Histoire :: Autres
L’arrestation à Paris de l’épouse de Massoud Radjavi, le chef suprême des Mojahedin-e Khalq-e Iran et d’un certain nombre de dirigeants de cette organisation a surpris tant les motivations de cet événement sont obscures. Est-ce une initiative isolée d’un juge maladroit ou voulant se faire mousser ? Est-ce un montage de notre ministère des Affaires étrangères ? Si tel est le cas, pourquoi cela ? Alors que les USA faisaient pression sur l’Iran, quel message voulait-on transmettre et à qui ? Là aussi la réponse est difficile tant la situation est confuse... Voulait-on apporter un soutien à l’Iran en décapitant son opposition en exil ? Voulait-on gêner les Américains qui semblaient traiter avec les Mojahedin-e Khalq-e Iran pour que ceux-ci soient au pire neutres, au mieux alliés dans la déstabilisation du régime des mollahs ? Voulait-on se faire bien voir des Américains en réprimant un groupe terroriste que l’on tolérait depuis vingt ans ? Nous n’avons pas les capacités pour répondre de manière plus fiable que les grands organes de presse, par contre nous pouvons - beaucoup mieux que les médias du systèmes qui sont sur ce point d’une indigence extrême - présenter les Mojahedin-e Khalq, montrer leur évolution et voir les enseignements qu’une organisation nationale-radicale peut en retirer en terme d’organisation et de stratégie politique.

Origines historiques

Pour comprendre la situation actuelle, il faut remonter au début du siècle passé. L’Iran dispose alors d’importantes réserves de pétrole, celles-ci sont un enjeu pour les grandes puissances qui veulent les contrôler et qui pour ce faire vont s’appuyer sur une monarchie rêvant d’occidentaliser le pays.

En 1921, le général Rezâ Khan s’empare du pouvoir par un coup d’Etat. En 1925, il se fait couronner roi et crée la dynastie des Pahlavi qui remplace celle des Qajar (1779-1925). Il établit un régime impitoyablement modernisateur, humilie le clergé et impose des réformes proches de celles d’Atatürk (obligation du port de vêtements occidentaux, du dévoilement des femmes, etc.) suscitant un vif mécontentement dans les milieux cléricaux et populaires. Dans le même temps, le monarque accorde, en 1933, une concession exclusive de soixante ans à la British Petroleum sur les gisements de pétrole. BP s’engageant en contrepartie à verser une faible rente annuelle non pas à l’Etat mais à la famille royale ! De ce fait l’Iran, privé des ressources de sa principale exportation, manque de fonds, il ne peut faire face à ses obligations et à un budget déficitaire. Cela mécontente fortement la bourgeoisie commerçante qui développe un état d’esprit nationaliste et républicain. En 1951, grâce à des élections libres due au changement de monarque, elle accède au pouvoir. Le gouvernement, dirigé par Mohammad Mossadegh, nationalise les ressources pétrolières et leur système d’exploitation. L’Occident boycotte alors le pétrole iranien et fait pression sur la cour qui, en 1953, renverse le gouvernement par un coup d’Etat.

Faisant le constat que Mossadegh, laïc et progressiste, n’a pas été soutenu par les masses populaires profondément religieuses, certains de ses partisans dirigés par Medhi Bazargan créent, en 1961, le Mouvement de libération de l’Iran, nationaliste, religieux (il reçoit le soutien de l’Ayâtollâh Taleqani) et hostile au marxisme. A la même période, le futur imâm Rûh Allâh Khomeyni prend la tête d’une fraction minoritaire du clergé qui s’oppose aux projets de modernisation du shâh et, en particulier, au vote des femmes et à la possibilité de prêter serment sur un autre livre que le Coran. Ses critiques acérées et virulentes de la monarchie lui valent d’être arrêté en 1963, ce qui provoque d’imposantes manifestations de protestations qui sont brisées dans le sang.

Les Pahlavi profitent de la situation insurrectionnelle pour liquider leur opposition : Bazargan et Taleqani sont arrêtés et condamnés à dix années de prison pour « avoir critiqué la constitution »... Cette impossibilité d’avoir une activité politique légale va entraîner une radicalisation d’une partie de l’organisation. Quelques mois plus tard, un groupe de jeunes militants se séparent du MLI et, créant le Sazeman-e Mojahedin-e Khalq-e Iran (Organisation des combattants du peuple d’Iran), déclarent que « la lutte armée est une nécessité historique » (1). Malgré cette proclamation guerrière, le groupe se contente pendant trois ans de recruter et de former des cadres, leur faisant suivre, deux fois par semaine, des cercles d’études centrés sur la religion, l’histoire et la théorie révolutionnaire. En 1966, un Comité central est élu pour diriger l’organisation. Son plus jeune membre (il n’a que dix-neuf ans) se nomme Massoud Radjavi.

Un « gauchisme » islamique

Durant toute cette période d’étude, les Mojahedin élaborent une doctrine particulière. Pour eux, Dieu a non seulement créé le monde mais aussi les lois de l’évolution historique. Puisque le Coran prévoit que « les masses hériteront de la terre », cela induit un déterminisme historique et donc conduit à penser que la lutte des classes est une partie intégrante de l’islam, puis à énoncer que « séparer l’islam de la lutte des classes c’est trahir l’islam ». De surcroît, ils affirment que Dieu génère, de manière régulière, des messagers - les prophètes - pour aider le peuple dans sa lutte de libération. Ainsi, Mahomet « a été envoyé sur terre pour libérer l’humanité de toutes les formes d’oppression : exploitation de classe, répression politique et incompréhension théorique », les imâms ‘Ali et Hussein - les fondateurs du shî'isme - ont eu un rôle similaire. En affirmant cela, les Mojahedin opposent le sunnisme - à leur yeux une version réactionnaire de l’islam - au shî'isme - sa version révolutionnaire.

Ce faisant, ils sont très proche d’‘Alî Shari’ati (1933-1977), un des principaux intellectuel islamiste iranien. Ayant fait ses études en France, celui-ci y avait découvert les intellectuels de gauche et tiers-mondistes. Particulièrement féru des oeuvres de Sartre, de Guevara et de Fanon, il avait concocté un shî'isme révolutionnaire où il islamisait certaines notions marxistes. Un de ses livres portait comme titre Le shî'isme rouge, il avait participé à la création du Mouvement des adorateurs socialistes de Dieu et il nommait Mahomet « ce berger révolutionnaire du peuple » ! S’identifiant au compagnon du prophète, Abûzar, un pauvre qui ne possédait ni bien, ni rang social, et qui fut un des premiers activistes shî'ites, il se présentait ainsi : « Je suis le disciple d’Abûzar, ma doctrine, mon islam, mon shî'isme, mes aspirations, ma colère et mes idéaux sont les siens, je commence mon propos comme lui par : Au nom de dieu, Dieu des opprimés. (...) Abûzar, compagnon du Prophète, disciple d’’Alî, c’est un grand révolutionnaire combattant l’aristocratie, l’autoritarisme, le capitalisme, la pauvreté et la ségrégation. » Paradoxalement, il était aussi féru des œuvres d’Alexis Carrel et de René Guénon qu’il avait contribué - en en assurant la traduction en iranien - à faire connaître dans son pays.

Les Mojahedin étaient aussi influencé par l’écrivain Jala al-Ahnad, un ancien membre du Parti communiste qui mêlait dans ses analyses lutte des classes et valeurs de l’islam et qui eut au début des années soixante une influence considérable sur la pensée de Khomeyni lui-même.

Des islamo-marxistes ?

Quand ils prirent connaissance de l’existence du groupe les agents de la Savak le dénoncèrent comme un mouvement « islamo-marxiste » ou « musulman-communiste ». Il y avait là une stratégie sémantique puisque le marxisme et le communisme étant considéré comme athées, accrocher cette étiquette au Mojahedin-e Khalq-e Iran revenait à rendre difficile leur implantation dans les masses paysannes et chez les petits artisans, couches sociales que visait la propagande du groupe et qui étaient très religieuses. Les Mojahedin tentèrent de compenser l’effet négatif de cette définition que l’on donnait d’eux en veillant dans toute leur propagande à ne pas se référer au socialisme et en affirmant que les accusations de la police politique étaient de pures diffamations visant à amoindrir l’impact des opposants les plus résolus au Shah.

Dans la réalité, la lecture des documents que diffusa le groupe (jusqu’en 1972, ils ne furent distribués que sous la forme de manuscrits photocopiés) - et principalement celle de Le Mouvement d’Hussein habituellement attribué à la plume de Massoud Radjavi - permet de se rendre compte que la Savak ne se trompait guère. Si ils affirmaient dire non à l’athéisme de la philosophie marxiste, les Mojahedin revendiquaient dans le même temps ses analyses historiques et sociales.

Mais cela ne s’arrêtait pas là, et une lecture fine de leurs textes théoriques montre comment ceux-ci constituent un étrange melting-pot. Du shî’isme de Shari’ati et d’al-Ahnad, ils avait gardé l’instinct de révolte et le goût du martyre auxquels ils ajoutaient des apports divers. Chez Marx, ils avaient pris la lutte des classe et le déterminisme historique ; chez Lénine leur analyse de l’impérialisme ; chez Che Guévara et Régis Debray leur vision du tiers-monde ; chez Marighella et l’anarchiste sud-américain Guillen leur approche bakouninienne de la révolution ; etc.

La guérilla avortée

En 1970, les Mojahedin-e Khalq-e Iran prirent contact avec l’Organisation de libération de la Palestine et ils obtinrent qu’un certain nombre de leurs militants soient formés militairement dans les camps de l’OLP en Jordanie et au Sud-Liban. Les Mojahedin avaient décidé qu’ils ne commenceraient la lutte armée contre le régime que quand ils auraient formé un nombre conséquent de militants. Mais ils n’avaient pas prévu qu’un autre groupe, purement marxiste lui, les Feda’iyan, allait les prendre de vitesse en déclenchant des opération de guérilla le 8 février 1971. Afin de ne pas laisser le monopole de l’action armée à des concurrents, les Mojahedin durent donc passer à l’action eux-aussi. Il fixèrent la date de leur soulèvement au 25 août. Soucieux de se procurer des explosifs, ils contactèrent un militant communiste qui assura pouvoir leur en fournir et qui s’empressa de les dénoncer à la police. Avant donc d’avoir pu commettre aucun méfait, cent neuf membres du groupe furent arrêtés. Le procès pour complot contre la monarchie et contact avec des puissances étrangères eut lieu en février 1972 et les sentences furent dures : douze condamnations à mort, seize à la prison à perpétuité, les autres peines - infligées à des comparses - allaient de trois à neuf ans de prison. Seuls deux des condamnés à mort furent graciés. L’un deux était Massoud Radjavi qui - grâce à l’action de son frère, étudiant en Sciences politiques en Suisse - avait bénéficié d’une mobilisation de l’opinion internationale en sa faveur (1).

La survie

Quelques dirigeants des Mojahedin qui étaient à l’étranger lors de la grande rafle échappèrent au coup de filet et entreprirent de reconstituer le mouvement avec l’aide financière de quelques riches bazaris. Une de leur manière de manifester tout en évitant la répression fut d’organiser des veillées funèbres en la mémoire des condamnés à mort exécutés. Ils reçurent à cette occasion un soutien d’importance : celui de l’Ayâtollâh Taleqani et d’un certain nombre de mollahs de Qom, mais Rûh Allâh Khomeyni refusa, pour sa part, de s’y associer.

Les dirigeants en exil lièrent par ailleurs de nombreux contacts, soit avec des Etats comme la Libye ou le Yémen, soit avec des mouvements d’exilés iraniens de diverses obédiences (allant des oppositionnels religieux aux maoistes).

Enfin, les Mojahedin entamèrent une campagne d’attentats à la bombe visant les symboles du pouvoir et ses membres menèrent progressivement de véritables actions de guérilla qui lui coûtèrent, en cinq ans, quatre-vingt trois membres tombés les armes à la main et un grand nombre de prisonniers.

La montée en puissance du mouvement fut telle qu’en 1975, le Pentagone fit rédiger une étude sur le danger qu’il représentait et sur ses liens éventuels avec la Chine.

Scissions

En 1975, les Mojahedin étaient donc le groupe phare de l’opposition au Shah. Tout semblait aller pour le mieux pour groupe quand il éclata.

Une partie de la direction déclara dans un tract largement diffusé qu’elle rejetait l’islam et se revendiquait maintenant du marxisme-léninisme. Elle précisait même que pour elle « l’islam était un opium du peuple et une idéologie utopique et petite bourgeoise ». Le scandale fut grand et l’organisation vola en éclats. D’un côté ceux qui restèrent fidèles à leur foi gardèrent le nom original, tandis que les marxistes - qui se divisèrent en deux groupes - constituèrent d’une part « la Branche marxiste-léniniste des Mojahedin » qui devint par la suite, après avoir fusionné avec d’autres mouvements maoistes « l’Organisation de combat sur la route de l’émancipation de la classe ouvrière » (2) et, de l’autre, « l’Organisation des travailleurs révolutionnaire d’Iran ».

La scission fut telle que la fraction musulmane fut quasiment anéantie et que pendant un temps la seule structure qui subsista fut celle constituée parmi les prisonniers et dirigée par Massoud Radjavi. Sa situation fut encore aggravée par une fatwa prise par des proches de Khomeyni qui interdisait aux musulmans iraniens d’avoir quelque rapport que ce soit avec des marxistes. Cette proclamation occasionna une nouvelle scission et le départ des éléments les plus religieux.

Vers la révolution

Les mojahedin musulmans furent paradoxalement sauvés par le shâh qui, entre 1977 et 1979, libéra tous les prisonniers politiques des geôles iraniennes [dont leurs leaders et leurs principaux cadres] sous la pression de l’opinion publique internationale alertée par Amnesty international.

La libéralisation du régime permit, à partir de la fin de 1977, aux partis oppositionnels de se réorganiser. Libres, les radicaux musulmans reprirent immédiatement le combat, cependant, ils ne le firent pas sous leur propre nom mais en se dissimulant derrière l’Association des étudiants musulmans puis, à partir de novembre 1978, en se fondant parmi les partisans de l’âyâtollâh Taleqani. Celui-ci, récemment libéré de prison, faisait à la fois la jonction entre les opposants religieux et laïques et représentait Khomeyni - alors en exil près de Paris - à Téhéran.

Quand, les 9, 10 et 11 février 1979, ce qui restait de l’Etat iranien s’effondra, ce fut les groupes armés des mojahedin qui lui portèrent le coup de grâce en contribuant grandement – avec les feda’iyan marxistes - à écraser la Garde impériale. Et symptomatiquement les premières personnes à s’exprimer à la télévision et à la radio après leur prise de contrôle de Téhéran par les insurgés furent des dirigeants des mojahedin.

La mise en place d’une nouvelle organisation

Immédiatement après la révolution, Radjavi et ses partisans consacrèrent l’essentiel de leur énergie à reconstruire leur organisation. Un grand immeuble fut réquisitionné dans le centre de Téhéran pour leur servir de siège, des permanence furent ouvertes dans les principales villes d'Iran, un hebdomadaire fut publié et, surtout, une structure militaire clandestine fut développée. Ce dernier point est le plus important. Il est en effet évident que si les mojahedin ont profité de l'agitation khomeyniste, ils ne travaillaient pas pour l’âyâtollâh Khomeyni. Tout au contraire, la puissance de ses partisans les inquiète et ils estiment dès février 1979 qu'une « seconde révolution » doit venir.

En avril 1979, le premiers heurts éclatèrent entre pasdaran pro-khomeynistes et militants mojahedin. Mais plutôt que d'entrer dans une logique d'affrontement comme le faisaient alors les groupes communistes et gauchistes, les mojahedin recherchèrent systématiquement l'apaisement. Malgré cela, aux élections sénatoriales d'août 1979, les candidats mojahedin n'obtinrent que des résultats médiocres [Radjavi lui-même n'arriva qu'en dixième position à Téhéran] et Radjavi ne fut pas autorisé par les autorités à se présenter aux élections présidentielles de janvier 1980 au cours desquelles fut élu Bani Sadr. Les choses se corsèrent avec les législatives de mai 1980. Pour la première fois, l’âyâtollâh Khomeyni dénonça les mojahedin comme des ennemis et les pasdaran organisèrent contre eux des manifestations violentes qui entraînèrent des morts d'hommes. Malgré cela, les partisans de Radjavi obtinrent cette fois un résultat électoral non négligeable et avec un tiers des suffrages exprimés [mais pas un seul élu] il représentèrent alors la principale force d'opposition.

L'élimination des mojahedin

Après les législatives, les partisans de l’âyâtollâh Khomeyni vont manoeuvrer pour éliminer totalement du champ politique leurs opposants, y compris les mojahedin et le président Bani Sadr.

Dès le lendemain des élections législatives, les mojahedin abandonnèrent leur attitude conciliante vis à vis des religieux et entrèrent dans une logique d'affrontement. La presse mojahedin devint extrêmement critique vis à vis de l'entourage de Khomeyni. Celui-ci rétorqua en accusant les partisans de Radjavi d'être des agents des USA et en incitant les pasdaran à les harceler.

La presse des mojahedin dut être imprimée clandestinement à partir de décembre 1980 et les dirigeants de l'organisation passèrent dans la clandestinité, mais beaucoup de cadres locaux furent emprisonnés et les permanences du parti furent fermées les unes après les autres.

Le président Bani Sadr étant lui-même en butte à l'hostilité des religieux, les mojahedin s'allièrent avec lui et tentèrent de faire la « seconde révolution ». Les 5 mars, 27 avril et 13 juin, des manifestations en faveur de la démocratie et contre le « fascisme religieux » réunirent plusieurs centaines de milliers de personne.

Les événements de février 1979 semblaient se répéter et les religieux du Parti de la république islamique semblaient, comme le shâh deux ans auparavant, perdre leur mainmise sur l'Etat. Bani Sadr et ses alliés décidèrent alors de frapper un grand coup et de convoquer une manifestation de masse le 20 juin. Pour tous les observateurs, il était évident que celle-ci était une tentative de coup d'Etat contre les mollahs. Ceux-ci réagirent avec plus de vigueur que le shâh. Si les foules furent immenses dans les rues - de cinq cent mille à un million de manifestants selon les sources - la répression fut à la hauteur. Partout les milices islamiques étaient présentes et l'insurrection fut brisée dans le sang. Bani Sadr et Massoud Radjavi durent fuir immédiatement le pays et se réfugièrent en France.

Les mois qui suivirent furent confus. A la répression des pasdaran [six cent exécutions en septembre, mille sept cent en octobre, deux mille cinq cent en décembre] répondit la « terreur révolutionnaire» des mojahedin qui exécutèrent nombre de cadres de la République iranienne [en juin 1981, au plus fort de cette vague de violence, ils abattirent en moyenne trois dignitaires musulmans par jour !].

Du mouvement de masse...

Si les Mojahedin-e Khalq ne renoncèrent jamais totalement à mener une lutte armée contre la République islamique d’Iran, la répression réduisit rapidement l’importance de celle-ci et le mouvement devint quasi exclusivement une structure d’immigrés qui dans un premier temps sembla suivre une stratégie politique banale.

En juillet 1981, il contribua, avec le Président en exil de la République d’Iran Bani Sadr et divers autres groupes, à la création d’un Conseil national de la résistance. Les Mojahedin se dotèrent aussi de deux hebdomadaire (Mojahed en iranien et Iran Liberation en anglais), d’une radio et de sections dans tous les pays où existaient des communautés d’Iraniens exilés. Massoud Radjavi dans le même temps mena une intense activité diplomatique, rencontrant en quelques mois tous les hommes politiques - de droite comme de gauche - qui comptaient en Occident et multipliant les tribunes libres dans les plus grands quotidiens (en France, Libération, Le Monde et La Croix lui ouvrirent leurs colonnes).

... à la secte politique

Mais, et cela est sans doute l’élément le plus surprenant de l’histoire des Mojahedin, leur organisation évolua rapidement. D’une structure d’opposition politique classique pratiquant des alliances et une politique de « front national » on passa quasi sans transition, à une secte politique fonctionnant en autarcie.

L’intransigeance des Mojahedin et leur volonté d’hégémonie vida progressivement le Conseil national de la résistance de ses membres indépendants et celui-ci ne fut bientôt plus qu’une coquille vide. Dans le même temps, l’organisation adopta toutes les caractéristiques de la secte : code vestimentaire strict, vie communautaire fortement encadrée, interdiction de contacts avec l’extérieur et de lecture de la presse non-Mojahedin, interdiction des mariages avec d’autres que des membres du parti, mise en place d’un calendrier de célébration qui lui est propre, etc. Mais, surtout, Massoud Radjavi et son épouse furent l’objet d’une vénération confinant au culte. Ainsi Radjavi fut-il nommé en externe le Rahbar (guide) et en interne l’Imâm-e Hal (Imâm actuel) synonyme de Imâm-e Zaman (Imâm de l’âge) nom donné par les chi’ite duodécimains au messie qu’ils attendent ! Tout ceci contribua grandement à isoler les Mojahedin tant vis-à-vis des autres exilés iraniens que sur la scène politique internationale. Cela fut renforcé par les liens qu’ils développèrent progressivement avec l’Irak alors que ce pays était en guerre avec l’Iran.

Au service de Bagdad puis des Américains

Ces relations débutèrent par une rencontre très médiatisée avec Tarik Aziz en 1983. Quand il fut expulsé de France, en juin 1986, Massoud Radjavi n’hésita pas et il s’installa avec tout son état-major en Irak. Depuis cette date le QG de l’organisation y est resté installé dans une grande base militaire capable de fonctionner en quasi-autarcie.

Par opportunisme sans doute plus que par conviction (car on voit mal les rapports idéologiques pouvant exister entre le ba’asisme et l’islam révolutionnaire des radjavistes) les Mojahedin-e Khalq rendirent un certain nombre de « services » militaires ou de propagande au régime de Saddam Hussein dans sa lutte contre l’Iran, contre les Kurdes et contre la subversion chi’ite dans le sud du pays.

Mais quand éclata la seconde guerre du Golfe, les partisans de Radjavi firent clairement connaître aux chancelleries occidentales leur neutralité. En conséquence, alors que les Mojahedin-e Khalq figuraient pourtant sur la liste des organisations terroristes que tiennent à jour les Américains, leur camp ne fut ni bombardé, ni investi. Il semble bien qu’aux yeux de la CIA, et des officiels yankees, Massoud Radjavi ait eu un intérêt : celui de pouvoir contribuer dans le futur à déstabiliser l’Iran. Ceci expliquant cela, il fallait ménager ses troupes et ne surtout pas amoindrir leur force de frappe.

Ceci explique aussi peut-être ce qui s’est passé à Paris. Soit que l’on ait voulu, au ministère de l’Intérieur, punir d’une certaine mesure de nouveaux alliés de Washington, soit qu’on ait souhaité faire un geste de bonne volonté vis à vis de Téhéran en désorganisant une base arrière de ses opposants, soit que l’une et l’autre raison se soient cumulées.

Navvâb Safavi

Notes :
1 - On murmura à l’époque - et l’on murmure toujours - que la clémence dont il bénéficia fut aussi liée à la coopération avec la Savak dont il fit montre durant toute l’enquête.
2 - Elle fut surtout connue sous l’abréviation de Paykar.
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