Contre la volonté évidente d’un peuple qui a toujours fêté dans la liesse le retour à sa mère-patrie (la République arabe syrienne), des parties de son territoire tombées (avec les complicités internationales que l’on sait) aux mains des terroristes takfirî, Londres, Paris & Washington n’ont de cesse de menacer Damas de leurs foudres. Petit changement de braquet : en déployant le must de sa force aérienne, le Su-57, Moscou semble bien vouloir dire aux autres acteurs du grand jeu en Syrie que le temps de cieux syriens open bar aux appareils de la coalition US & à ses dommages collatéraux en série appartient désormais au passé. Vrai ? Faux ? À voir…
| Q. Alors, la Ghouta toujours à feu et à sang ?
Jacques Borde. Oui. Il faut être les nigauds d’Occidentaux que nous sommes pour croire nos dirigeant lorsqu’ils affirment que Al-Dawla al-Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (DA’ECH)1 est vaincu.
| Q. Un médiamensonge, diriez-vous ?
Jacques Borde. Non du discours. Tout ces propos font partie de la tension dialectique qui prévaut entre les (trop) nombreux acteurs du grand jeu au Levant. C’est un peu déstabilisant, je vous l’accorde, mais c’est surtout très normal. Et de loin préférable des joutes plus physiques.
| Q. Donc les propos de Macron, sur notre victoire ne vous choquent pas ?
Jacques Borde. Non, absolument pas.
| Q. Ça manque un peu de clarté, non ?
Jacques Borde. Et après, vous ne voulez pas qu’on faxe directement à DA’ECH notre agenda géostratégique, non plus ?
Tout le monde fait pareil !
| Q. Vous pensez à quelqu’un en particulier ?
Jacques Borde. Là. Surtout aux Russes. Qui ont, une fois n’est pas coutume, ont particulièrement bien manœuvré. Surtout en projetant leurs Su-57 en Syrie.
| Q. Mais Poutine n’avait-il pas annoncé une déflation du dispositif russe ?
Jacques Borde. Oui. Et alors ? Il a ménagé ses effets et pris tout le monde par surprise. Excellente manœuvre.
En fait, il s’agissait :
1- de rotations de la part de la Vozdushno-Kosmicheskiye S’ily (VKS)2, comme celles que connaît la coalition pro-américaine.
2- d’une montée en puissance parfaitement assumée.
Les images relayées via les réseaux sociaux montrent l’arrivée, sur la Base de Hmeimim, de (au moins) 4 Su-35 Flanker E, autant de Su-25 Frogfoot et un avion de veille aéroporté A-50U Mainstay. Et surtout, de deux Su-57, qui sont des appareils de 5ème génération, rejoints, depuis, par deux autres. Ce qui prouve que la VKS est plus que satisfaite du premier raid conduits par ce joyau de l’aéronautique militaire russe.
| Q. Mais pourquoi, des Su-57, ils ne sont même pas officiellement en service ?
Jacques Borde. Et après ?
En Syrie, Washington met également en œuvre des appareils de 5ème génération, ses F-22 Raptor. Dans la région, Israël dispose de F-35I Adir, qui sont également des appareils de 5ème génération. Qui, s’ils ont déjà survolé Damas, n’ont sans doute pas directement connu le baptême du feu.
| Q. Et ce déploiement vise qui au juste ?
Jacques Borde. Vous posez la bonne question !
La présence de ces Su-57 – et c’est bien là, n’en doutons pas, leur rôle principal – va compliquer durablement la tâche des pilotes de la coalition étasunienne, dont Russes, Syriens et Iraniens sont persuadés qu’ils sont de facto la composante aérienne de DA’ECH et de quelques autres.
Y compris ceux de notre Armée de l’Air, dont Macron menace de faire usage en cas de franchissement de nos hypothétiques lignes rouges (sic).
Sans parler des Américains, évidemment…
| Q. De quelle manière ?
Jacques Borde. Le déploiement des Su-57 intervient deux semaines après des frappes US contre des forces gouvernementales qui menaçaient les Hêzên Sûriya Demokratîk (HSD)3 à Deir ez-Zor. Il est désormais acquis que des mercenaires (ou des paramilitaires) russes y ont laissé la vie. La pilule n’est évidemment pas passé à Moscou. Cf. les propos du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï V. Lavrov, « Les États-Unis devraient arrêter de jouer à des jeux très dangereux qui pourraient conduire au démembrement de l’État syrien ».
Plus généralement se pose le problème la cohabitation dans l’espace aérien syrien, en particulier au-dessus de la province de Deir ez-Zor.
| Q. Et pourquoi cette arrivée d’appareils russes est si embarrassant pour la coalition ?
Jacques Borde. Parce que l’on ignore tout des capacités réelles de ces machines, qui sont des vecteurs de suprématie aérienne.
Selon les données disponibles, le Su-57 peut emporter des missiles air/air R-37M4 à longue portée et R-77M15 à moyenne portée ; ainsi que des bombes guidées KAB-500 et des missiles air/sol Kh-38ME. Plus, comme toujours en pareil cas, tout ce qu’on ne connaît pas…
La donne a changé. D’un seul coup, la Syrie cesse d’être l’open bar d’aviations (et d’industries) occidentales prompte à vanter le côté combat proven de leurs matériels.
| Q. Y compris pour Paris ?
Jacques Borde. Surtout pour Paris. Je vous rappelle que le F-22 Raptor n’est plus fabriqué. En revanche, vous imaginez la tête des commerciaux de Dassault si un de nos précieux Rafale6 se faisait shooter par un Su-57.
Plus globalement, c’est la Bérézina. Car, comme je vous l’ai dit et répété depuis des mois, Paris est out de chez out sur le dossier (syrien).
Répondant à une approche de la diplomatie française – Cf. une missive à l’adresse de l’ONU en réponse à une lettre de l’ambassadeur français du 7 février 2018 proposant une médiation de la France – Damas nous a envoyé sur les roses, notant que « Les conditions requises pour une médiation française pour la paix en Syrie ne sont pas réunies. Damas n’en veut pas, car la France n’est pas à la hauteur d’un tel rôle ».
Rappelant l’opposition de l’administration Assad aux positions « hostiles » de Paris, la diplomatie syrienne a, pince sans rire, répondu qu’il fallait transmettre le dossier à un médiateur… compétent (sic).
Car, « Les politiques de la France prises, depuis le début du conflit, envers Damas, au Conseil de sécurité étaient toujours basées sur de fausses accusations et des mensonges. La France qui a été le porte-étendard du soutien aux groupes terroristes actifs en Syrie, dont et notamment le Front al-Nosra et ses groupuscules alliés, et cela dès les premiers jours du conflit, n’a pas les compétences d’une médiation pour la paix en Syrie », a lourdement insisté Damas
Fustigeant l’absence de volonté politique de Paris sur la crise actuelle, la diplomatie syrienne a estimé que « l’actuel gouvernement français, tout comme ses prédécesseurs, en soutenant les bons terroristes » a terni encore davantage l’image de la France dans la région et dans le monde.
Pire encore, Damas a clairement laissé entendre que l’offre de médiation française du 7 février 2018 était motivée par l’appât du gain et en l’occurrence de futurs contrats d’exploitation de richesses fossiles ou de reconstruction.
À replacer les chose dans leur contexte, Damas a donc assuré Paris (et ses acolytes) qu’ils auront « que dalle » le jour où il sera question de reconstruire la Syrie.
Circulez, il n’y a rien à voir !…
Notes
1 Ou ÉIIL pour Émirat islamique en Irak & au Levant.
2 Ou Forces aérospatiales russes. Créées le 1er août 2015 suite à la fusion de la Voïenno-vozdouchnye sily Rossiï (VVS, armée de l’Air) avec les Voïenno Kosmicheskie Sily ou (UK-VKS, Troupes de défense aérospatiale.
3 Ou Forces démocratiques syriennes (FDS) en français.
4 Nom de code OTAN, AA-X-13/AA-13 Arrow.
5 Code OTAN, AA-12 Adder.
6 Qui n’est qu’un appareil de 4ème génération.