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Lundi, 26 Décembre 2011
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Retour de Solesmes
Claude Bourrinet
Spiritualités :: Alternatives religieuses
Retour de Solesmes
Il est juste de rapporter une expérience personnelle, quand elle peut rendre service à autrui. On peut raffoler des idées, et de leur jeu, mais si on ne les met pas à l’épreuve, si on ne prend aucun risque dans le monde concret de l’existence telle qu’elle est, on tournera en rond sans trouver d’issue, on aura pour ainsi dire la sensation de l’éternité, mais avec le goût amer du vide. C’est la méprise que donne parfois l’usage forcené des livres, la fréquentation immodérée des idées pour elles-mêmes. La contrée livresque est un peu le pays des Lotophages : on s’y grise, et on oublie. On perd de vue en effet l’enjeu réel de la vie, au profit du plaisir intellectuel, et de l’agencement des concepts qui se présente comme un jeu aussi délectable que celui du corps. Du reste, le danger que présente le commerce des idées est bien plus sérieux que celui des sens, qui possèdent la clarté du tangible, car l’ambition intellectuelle se pare des vertus du désintéressement, et du prestige de la chose écrite, de sa maîtrise, qui en imposent toujours. La force de Socrate, et sa faiblesse, qui lui valurent une mort glorieuse, est d’avoir posé l’existence sur le plan de travail, et de l’avoir mise à la question. On pourrait en dire autant de Jésus, qui a confronté l’urgence du salut à la sécheresse formaliste des pharisiens et des saducéens. Si la connaissance et l’écheveau des abstractions ne suscitent pas un lien et un écho avec l’homme intégral, sa chair et son affectivité, ses relations avec les autres hommes, ils ne seront qu’un vain nuage qui s’évaporera dans le vide.

Cependant, la détresse du temps actuel place la plupart des êtres dans un abîme de perplexité. Les traditions, les attaches anciennes, ont été emportées en grande partie par le torrent de la modernité, qui ne paraît devoir perdurer qu’en bousculant tout, en déracinant les obstacles jadis arrimés au terroir, et en ne trouvant de légitimité que dans le roulement impétueux du flux, dont on ne perçoit plus la fin. Dès lors, le choix ne se réduit plus à l’alternative entre une voie de salut adoptée ou reconnue, explicitement ou implicitement, par tous, et un abandon à des forces identifiées comme celles du mal, de la dégradation ou de l’esclavage. Même dans l’Antiquité païenne, où des Ecoles s’affrontaient sur la meilleure définition de la sagesse, il était entendu que certains principes prévalaient néanmoins, comme la volonté, la maîtrise de soi, la nécessité de rentrer en soi-même, et qu’il existait une hiérarchie entre les niveaux d’être. La vocation de l’Eglise a été de proposer, héroïque et peut-être utopique, un salut pour tous, issu d’un même substrat religieux, du même principe divin, qui est Jésus Christ, cheminement empierré et consolidé par un ensemble dogmatique. Le monde contemporain, en revanche, répudie toute certitude transcendante, et allie l’individualisme avec un relativisme universel. Sa catholicité ne s’éploie que dans la dimension horizontale, dans l’affectivité et le biologique. Ce qui rapproche l’homme, tout en le raccordant au monde animal, c’est son origine biologique – le fait d’être né – d’être doté de sensibilité, et pourvu d’une morale, somme toute occidentale, et trop souvent instrumentalisée à des fins politiques ou belliqueuses. Certes, on pourrait ajouter tout ce qui appartient à l’ordre culturel, à la civilisation, mais la tendance à rabattre le temps historique sur un présent dynamisé par la pulsion marchande et consumériste, a transmué le legs du passé, ses témoignages, ses monuments, en un décorum vidé de substance, de mémoire et de sens. A ce titre, l’espèce humaine n’est plus réputée s’unir autour d’une ressemblance à l’image de Dieu, ou du logos, mais du plus petit dénominateur commun, son corps et son affectivité, que l’on subsume sous le concept fédérateur des « droits de l’homme ». A terme, cet angle universaliste arase les singularités de groupes, de communautés, qui, comme les personnes, n’existent qu’en tant qu’elles s’intègrent dans une mémoire, une tradition, un héritage, voire un terreau imposé par la naissance, la filiation et la langue. Toute autre façon de considérer les individus et les peuples ne peut que les abstraire et les tuer, comme des plantes qu’on a arrachées et qui ne subsistent que bien peu de temps à l’aide d’adjuvants artificiels. La condition sine qua non pour surpasser la part matérielle et communautaire de l’homme afin d’accéder à la vraie vie, qui est celle de l’esprit, de l’infini et de l’éternel, est d’abord de prendre pied sur un sol fertile susceptible de donner forme et énergie à l’élan qui le propulse vers le haut.

C’est en partant de ce postulat, de ce statut enraciné de l’homme, que je vais évaluer l’expérience, fort courte – puisqu’elle n’a duré que deux jours – dans l’abbaye de Solesmes. Avant de poursuivre, je dois dire que j’avais effectué une retraite semblable, l’an dernier, dans l’abbaye de Fontgombault, et que l’un des motifs qui a présidé à ma décision de connaître de près la pratique des offices dans un cadre idoine, était que j’étais très attiré par la beauté de la langue latine et du chant grégorien. En outre, je n’étais pas sans cultiver une certaine admiration pour le monachisme, et particulièrement pour sa branche maîtresse, celle de saint Benoît, l’un des restaurateurs de l’Europe.

Avant d’en venir à mon expérience proprement dite, et aux réflexions qu’elle m’a incité à prodiguer, je dois suivre un détour, qui va permettre de comprendre ce que peut représenter l’existence d’un havre de paix, de silence et de spiritualité dans une société dont tous les aspects tendent plutôt à plonger l’individu dans une mer tumultueuse de passions et de pulsions. S’il faut rester dans le domaine concret de la vie prosaïque, je dois rendre compte du trajet qui m’a conduit, en automobile, jusqu’au village de Solesmes. Vivant au cœur de la campagne française, à la frontière entre le Limousin et l’Auvergne, au milieu des prés, non loin d’une forêt épaisse, habitué des bêtes et des rochers, des paysans et de la monotonie d’une existence éloignée des sollicitations agressives de la ville, ayant perdu depuis de nombreuses années l’usage des grandes voies de communication et d’une France contemporaine dont je n’ai souvent l’image distanciée que dans des médias que je fréquente assez peu, je n’avais guère le sentiment de ce que pouvait être une grande route nationale la veille des vacances de Noël. Il est vrai que, pour ma génération, un trafic monstre, des embouteillages irritants et un flot ininterrompu de véhicules sont associés aux grands départs estivaux. La société de consommation a progressé, et les réunions familiales élargies ont tout lieu, pour certains de mes compatriotes, d’avoir été remplacées par des séjours onéreux à la neige, au sein d’une famille réduite à sa plus simple expression, voire moins, ou bien entre amis. Il est assez impressionnant de constater que sur cette tranchée quasiment rectiligne qui va de Limoges, sinon même de Tulle, jusqu’à Angers, je n’ai rencontré aucun moment où la voie ne fût parcourue, dans un sens comme dans un autre, d’automobiles fonçant sous la pluie et dans une nuit précoce. C’était l’après-midi du 23 décembre, un vendredi, et je croyais, en conduisant, que le pays était devenu un énorme boyau drainant l’ensemble d’une population prise de conduite frénétique. C’est par de tels essais, au sens montanien, qu’on parvient à saisir ce qu’est la modernité. Dès que la pratique du travail, de la ville labyrinthique, des relations tendues et de la subsistance quotidienne est rompue, le temps des vacances, de l’otium, du loisir ne devient pas pour autant celui de la sérénité, de la paix du corps et de l’âme, et de rencontres humaines possibles, un peu plus profondes et authentiques. L’homme se transforme en automobile s’incrustant dans une rangée s’insectes métalliques poussés par une sorte d’instinct de pérégrination, et, derrière sa carapace se devine à peine son humanité. On consomme du carburant, du temps, on se paye des séjours mirifiques, et l’on pense remplir son existence. La route n’est pas un espace à vivre. Les piétons longeant cette furieuse déambulation sont improbables, les animaux qui s’aventurent à la couper sont écrasés, et chaque automobiliste devient l’obstacle, peut-être l’adversaire ou l’ennemi de l’autre. Il n’y a pas à proprement parler compétition, mais la course possède sa logique performative, sa loi qui s’impose, celle du rendement kilométrique et temporel, celle de l’urgence, d’une obligation, d’un impératif à vrai dire absurde, car il est conditionné par une autre dialectique, celle des dates imposées de location ; et à bien y réfléchir, si l’on fait, à l’échelle de nos habitudes vernaculaires qui ponctuent une année de labeur et de servitudes compilées, le bilan des gains et des pertes en matière temporelle, on s’apercevra que l’on est loin d’être gagnant, et que notre durée existentielle s’y use comme des pneus. Si bien que l’individu échappe à un carcan, pour s’en imposer d’autres dans un cadre qui devrait être celui de sa liberté. Que dire aussi, sinon que l’abord des cités, toujours identique, est laid, déshumanisé, cancérisé par la vulgarité marchande, par les entrepôts, les enseignes, les ronds points, les lumières violentes, et, au fil du trajet, s’évanouissent aussi les paysages échappés, les villages entrevus et vite perdus, où des vies se font et se défont, et valent, dans le coin de terre où elle brûlent comme des bougies, un monde à elles seules, un univers irremplaçable. Je n’ai jamais aimé l’automobile. Elle enferme l’homme dans une logique mécanique, le coupe du monde extérieur comme ses logements tendent à le faire avec leurs doubles fenêtres et leur climatisation, comme le condamnent à l’être ses appartements insérés dans d’immenses immeubles, ces tours de Babel. La bagnole a défiguré le paysage en le tranchant en longues saignées asphaltées, et transformé les agglomérations en terminus ou en nœuds de flux où résider n’est plus qu’une occupation passagère. Mais ce qui la rend encore plus représentative des temps contemporains, c’est qu’ elle donne l’illusion de la liberté, la croyance qu’on est en mesure d’échapper à l’espace et au temps, du moins de les réduire grâce à la vitesse, et aussi de prendre des distances par rapport aux lieux d’existence, où des générations ont bâti patiemment, fondé une culture, construit un cadre, engendré des familles et des solidarités. Désormais, on travaille à des kilomètres de chez soi, on détruit de petits commerces en se rendant au supermarché éloigné d’une vingtaine de kilomètre du hameau ou du quartier qui se meurent, on va danser dans des discothèques abrutissantes en risquant de se tuer au retour, on dépense une grande partie des revenus du foyer pour s’en servir et l’entretenir, et elle encourage l’individualisme en décourageant l’usage des transports en commun. Tout cela, ce sont des chaînes, et comme disaient Sénèque, Montaigne et Baudelaire, en transhumant, on ne se délivre pas de ses défauts, ni de ses problèmes, ni de son spleen : on ne fait que les déplacer.

Cet arrière-plan déchiré, plein de fureur destructrice, qui ressemble par moment au tableau de Jérôme Bosch, au Triomphe de la mort, - mais là, il s’agirait du dépérissement d’un monde désavoué et abandonné, délaissé par le Divin, dissociation tarissant le tissu vital d’une société qui craque, se déchire, se désagrège dans une violence sourde et sournoise, intériorisée, délitement qui se manifeste par des comportements et des ordonnances politiques suicidaires, comme si les racines de l’arbre de vie étaient mortes, et que le grand tronc n’était plus irrigué par une sève saine et primordiale, privant les branches de leur nourriture et les vouant au dessèchement et à une chute brutale – rend vitaux le retrait, l’aspiration à se retrouver, à recouvrer son âme, la paix et la sérénité, à se recueillir, à cueillir de nouveau un espoir, même désespérément évanoui du regard commun de la communauté. Le monastère représente un havre où trouver ce refuge. Il offre tout le contraire de ce qu’inflige la société actuelle. En lui résident le silence, une solitude partielle propice à l’intériorisation et au questionnement intime, associés à une proximité humaine empreinte de reconnaissance et de respect. La fraternité n’y est pas ostentatoire, comme elle s’affiche volontiers lors des grandes messes caritatives diffusées à grande échelle sur un mode exagérément compassionnel, et souvent méprisant, sinon commercial. On coexiste dans une relation pleine de retenue, le tutoiement n’est pas de mise, même entre moines ( c’est ce dont je me suis rendu compte à deux ou trois reprises, mais je peux me tromper), contrairement à cette promiscuité imposée par la muflerie moderne, brutale, exempte de la médiation qu’on appelait politesse, honnêteté, c’est-à-dire l’art de se comporter décemment en société, « franchise » qui n’est que le signe d’un commerce humain décomplexé par les relations sans fard de l’agent, abruptes et bêtes, comme la prostitution ou la communion suintante de l’égalitarisme fraternitaire. Le voussoiement, en marquant les limites symboliques et langagières aux frottements humains, permet l’estime et la considération de l’autre en tant qu’âme, c’est-à-dire dans sa dimension spirituelle, dans sa dignité d’image de Dieu, et il n’est pas indifférent que l’Eglise catholique vouvoie le Créateur.

La théorie journalière des offices, la discipline corporelle qu’elle implique si l’on suit fidèlement leur succession et que l’on respecte la gestuelle rituelle imposée par la liturgie, apaisent l’esprit et le rendent disponible pour la réception de la main de Dieu, qui est grâce. La contrainte est liberté. La vertu de la règle est de délivrer , tant que faire se peut, des scories de la vie profane, des résidus de besoins matériels, et d’images superfétatoires qui font obstacle à la transparence cristalline du cérémonial sacré. Cela n’arrive bien sûr, pour un néophyte trop imprégné de monde extérieur, que par intermittence. Mais ces moments de dilection spirituelle sont inestimables, restent dans la mémoire profonde, et gratifient la peine procurée par le manque de sommeil, le froid et l’obligation faite de ne point se divertir, exercice douloureux pour l’homme de ce temps. Le salut ne souffre ni la dispersion, ni le gaspillage du temps.

Lorsque j’ai parcouru le commentaire de dom Delatte sur la règle bénédictine, à Fontgombault, je n’ai pas manqué de faire un rapprochement avec l’éthique et les pratiques du stoïcisme. Il est vrai que la finalité de l’office, de la prière ou de l’apprivoisement sévère du corps peut être cette apathie, ou cette indifférence active apte à l’accueil de la lumière d’en haut. Le rôle du chant grégorien ajoute à cette mise en disposition psychique, car l’unisson des voix, la monodie et les scansions du récitatif biblique, la répétition des antiennes, la légèreté grave, parfois dramatique, d’une mélopée épurée, qui rend pour ainsi dire visible l’invisible, et palpable la présence de Dieu, saisissent la personne entière et l’emportent dans les sphères éthérées de l’Esprit saint. L’impression tangible surgit, qu’une ouverture vers la transcendance et une aspiration verticale se produit, et que, indirectement, nous y participons. En esthète, on en apprécie la forme, les résonances harmonieuses et le rythme envoûtant. On y allie les lignes architecturales de la nef, la fuite aérienne, frêle et gracieuse, des croisées d’ogives, les colonnes cadençant verticalement l’espace, comme pour donner à la profondeur du vertige une prise, et à la personne la faculté de se souvenir qu’elle est encore dans le monde humain, cependant un monde équilibré, tempéré, conçu pour rendre hommage à la raison humaine, à un talent qui s’évertue à présenter à la Divinité la plus belle offrande, l’ornement et la beauté qu’Elle mérite. Je vois, pour ma part, le chant grégorien comme un bâtiment charpenté de lumière, un édifice, un monument de très grande antiquité, qui abrite une sagesse et une conception de l’homme confortées par la prudence et la générosité des siècles. J’y ai perçu le reflet fidèle du message évangélique, de la prédication de Jésus. J’ai lu avec attention Marc et Jean, que je préfère aux autres évangélistes, l’un pour sa simplicité un peu rugueuse, âpre et authentique, l’autre pour sa poésie et l’éclat surnaturel de sa vision. Quand on lit leurs écrits, on ne peut qu’être saisi par la vérité de cet événement qu’est l’incarnation du Verbe, la descente du Divin dans un monde qu’Il veut régénérer, à qui Il désire redonner une grâce qu’il était en train de perdre. Nous sommes à un sommet, et les autres récits, comme les Actes des apôtres, nous font parfois chuter dans le trivial et le « trop humain », y compris par moment les Epîtres de saint Paul. J’ai trouvé, au demeurant, que l’on ne trouve pas chez ce dernier le respect attentif de Jésus pour la femme. Sauf erreur de ma part, sa situation subordonnée, sur laquelle l’apôtre insiste parfois lourdement, est passée sous silence par un Christ qui place souvent Marthe, Marie, Madeleine et d’autres femmes à un niveau éminent, quelquefois supérieur aux hommes. Les épisodes qui nous en convainquent sont trop nombreux pour être sans signification, surtout dans une société sémitique qui a tendance à considérer les femmes comme très inférieures aux hommes. Pour revenir au chant grégorien, il me semble que Georges Duby commet une erreur d’interprétation quand il reproche à l’époque contemporaine de l’avoir restauré en le dévirilisant, en le transformant en mélopée melliflue. Certes, le moyen âge, dans sa vision eschatologique des fins humaines, et sa conception chevaleresque du combat spirituel, concevait le chant grégorien comme lutte, tournoi contre le Diable dont les moines étaient les champions. L’abbaye était alors, avant que la monarchie nationale ne profane la cité chrétienne en la ravalant au machiavélisme d’Etat, à la pointe d’une pyramide sociétale qui, à l’unisson, tentait tragiquement, et parfois avec de magnifiques réussites, de s’élever jusqu’au principe divin. Lorsque l’on contemple l’immense et haut bâtiment abbatial de Solesmes, on ne peut pas ne pas penser à une forteresse, à un manoir cerné par l’ennemi, résistant de toutes les forces de ses soldats aux assauts du Mal. Mais, de fait, les temps ont changé, les hommes ont acquiescé à la mainmise définitive du péché sur le monde, et croient pouvoir en tirer un profit personnel. Même les hérésies messianiques, comme le communisme ou le fascisme, qui sont des parodies diaboliques de l’eschatologie chrétienne, ne sont plus de mode, rendant par là superflu tout songe d’une union, même dégradée, de la communauté. Le diable n’est plus qu’une survivance folklorique, et les chrétiens ne sont plus en accord sur de nombreux dogmes, comme ceux de la résurrection des corps, de la sacralité du mariage ou de l’immaculée conception. Nous sommes dans un temps de basses eaux.

Pourtant, à ce qu’il paraît, il y aurait un renouveau, surtout chez les jeunes. Il est possible que la marée, par moment, produise un ressac, qui découvre de nouveau le sol, des rochers, et remette à jour des forces que l’on croyait submergées. Mais il ne faut ni se tromper, ni, ce qui est pire, s’enivrer de fausses illusions. Depuis cinq siècles, la tendance lourde est au déclin du Divin sur la terre, à son éloignement, comme s’Il prenait des distances par rapport à un monde décidément incorrigible. Les mythes, y compris bibliques, que ce soient le déluge ou le feu frappant Sodome et Gomorrhe, ont depuis toujours envisagé ces perspectives dramatiques. Le temps et l’heure de la parousie sont inconnus de l’homme, et imprévisibles. La durée surnaturelle est sans commune mesure avec celle du monde sublunaire. Il se peut que des siècles et des siècles de déréliction s’étendent avant un véritable retour de Dieu, qu’il ne faut sans doute pas confondre avec l’enivrement subjectif que produit l’espoir de le voir revenir.
Selon René Guénon, le mérite du christianisme a été de restituer à un monde qui fossilisait ses convictions religieuses la vertu énergétique du souffle divin, de l’Esprit saint, du Paraclet. Mais il note par ailleurs que cette religion, qui draine une mémoire sacrale issue de plusieurs civilisations, bien qu’elle se soit affermie sur un substrat judaïque, se ressent de la décadence d’un monde dont la perte progressive du principe central et transcendant, ce moteur immobile qu’évoque Aristote, a voué à un matérialisme de plus en plus prégnant, et à une affectivité, une sensiblerie que l’on retrouve dans le christianisme, et qui a fini par occulter l’exercice de l’intelligence, cette métaphysique, ou plutôt cette théologie, si décriée et maintenant délaissée, qui constitue un sommet de l’esprit médiéval. Ce réalisme terre à terre se perçoit par exemple dans le souci obsessionnel et récurrent de prouver la réalité historique des événements rapportés au sujet de Jésus, notamment sa résurrection, hantise que l’on jugera quelque peu plébéienne. Il est au demeurant irritant de rencontrer une hauteur, un dédain, un mépris pour certaines expressions du paganisme, que l’on allait retrouver, plus tard dans les propos scientistes des rationalistes des Lumières, au sujet, comble d’ironie, du christianisme lui-même. L’arroseur arrosé, si l’on permet cette plaisanterie.

Le problème maintes fois souligné par les tenant de la Tradition est que le christianisme est presque tout entier investi dans la dimension exotérique et affective de son message, et que les bribes de la Tradition qu’il a pu sauver du naufrage des ans et de l’oubli des hommes relèvent de sources qu’il a, ou subordonnes, comme le platonisme, l’aristotélisme ou le stoïcisme, ou répudiées, comme le zoroastrisme, les cultes païens, grecs, égyptiens ou d’autres héritages antiques, telle la pensée hindoue. Il eût mieux valu convenir, non seulement de ce fait culturel, au sens large, mais aussi de la validité, et de la haute dignité de ces courants religieux, sans parler de l’islam et du bouddhisme. A la suite de quoi, comme le faisait remarquer Simone Veil dans sa Lettre à un religieux, mystique engagée qui fit elle-même un séjour gratifiant, avec ses parents, à l’abbaye de Solesmes, l’Eglise s’est enferrée dans un chauvinisme désastreux à terme. Faute d’avoir reconnu que toutes les traditions religieuses, dans les dimensions diachronique ou synchronique, portent A EGALE VALEUR ET DIGNITE la présence divine, elle s’est condamnée à une défensive pérenne, et à la ruine actuelle, que nous déplorons comme un grand malheur.
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