Le rapporteur de la loi El Khomri à l'Assemblée prévient : en l'état, le texte ne passera pas l'épreuve de l'hémicycle.

Il est le rapporteur de la loi Travail à l'Assemblée nationale. Christophe Sirugue, député PS réputé doué pour le compromis a obtenu du gouvernement des marges de manœuvres afin de « rendre ce texte acceptable ».
A partir de mardi, il porte la lourde charge de convaincre les députés de la majorité du bien-fondé de l'une des plus explosives réformes du quinquennat. Avec à la clé les derniers amendements nécessaires, selon lui, à une clarification des « points durs » de ce texte fustigé dans la rue depuis plus d'un mois. Sans quoi, affirme-t-il, le projet de loi n'obtiendra pas la majorité. Il explique pourquoi.
Matignon et le ministère du Travail s'inquiètent de ne pas avoir de majorité pour ce texte. Selon nos sources, il manquait entre 60 et 70 voix la semaine dernière. Vous confirmez ?
CHRISTOPHE SIRUGUE. Ce comptage auprès des députés de gauche s'est fait au retour des vacances, avant que nous ayons pu rendre compte de ce qui avait été réécrit par la commission des Affaires sociales. Il y a des évolutions au texte qui ont été discutées lors d'une réunion mardi dernier. Aujourd'hui, cette comptabilité n'est plus exacte. Il manque près de 40 voix pour obtenir une majorité et voter la loi.
Dans quels rangs y a-t-il des réserves de voix ?
Il y a des opposants historiques à l'intérieur du groupe PS, qui sont la vingtaine de frondeurs. Depuis plusieurs années, ils ne votent plus les textes du gouvernement. Il y a ensuite ceux que j'appellerai les opposants « de bonne foi », plusieurs dizaines. Ceux-là ont des interrogations sur plusieurs points du texte comme le périmètre des licenciements et le risque inhérent aux accords d'entreprises. A défaut d'une clarification ou d'une modification du texte, ces derniers pourraient soit être sur un vote négatif soit rejoindre le camp des abstentionnistes.
Il y a « des corrections possibles » a affirmé dimanche la ministre du Travail. Quelles sont-elles ?
J'ai posé plusieurs séries d'amendements. Sur le périmètre d'appréciation des difficultés économiques, le projet de loi vise à le ramener à la France et non plus à l'échelle internationale. C'est une ligne rouge pour beaucoup de mes collègues. Je propose donc de le ramener à l'échelle internationale. J'avais dit devant la commission des Affaires sociales que je cherchais une solution avec le gouvernement. A défaut de l'avoir trouvé, j'ai déposé cet amendement. Même si l'exécutif le rejette, je le maintiendrai. On verra bien alors ce que fera l'Assemblée, mais je n'ai pas de doutes sur le résultat !
Beaucoup de députés disent en privé craindre que cette partie de la loi favorise les licenciements...
Avoir laissé dire dès le début que cette loi allait faciliter les licenciements, c'est l'erreur, le péché originel. Cela fait partie des éléments qu'il va falloir que je continue à expliquer dans le détail. Il faut sortir de cette approche, qui a placé le débat sur cette impression que toutes les entreprises allaient licencier. Que cette loi était construite pour cela. Ce n'est pas vrai !
Et sur le référendum en entreprise, autre chiffon rouge ?
Je suis moi-même très réservé sur la question du référendum qui pose le problème d'un risque permanent de conflit dans les entreprises. Je ne suis pas convaincu de la pertinence de cette mesure.
Quelles sont les autres modifications incontournables ?
Concernant le développement des accords d'entreprises, il faut clarifier le texte. Car si l'on n'y prend pas garde, il peut avoir comme conséquence de laisser s'engager une forme de dumping social entre les entreprises d'une même branche. Je ne remets pas en cause le principe, mais j'ai déposé un amendement prévoyant une sorte de comité de surveillance. Une fois par an, la branche professionnelle devra examiner les accords d'entreprises passés et faire des recommandations, y compris pour demander des corrections. Le gouvernement a donné son feu vert.
Et la taxation des CDD, comme l'a promis le gouvernement. Y êtes-vous favorable ?
C'est déjà permis. Il faut laisser ça à la main des partenaires sociaux. Ils ont des outils pour résoudre le problème des CDD de très courte durée, au sein de la négociation sur l'assurance chômage. Légiférer autoritairement des fourchettes comme cela était envisagé par le gouvernement, je dis hors de question !
Mais le Medef menace de claquer la porte des négociations sur l'assurance chômage s'il n'obtient pas gain de cause sur cette loi...
Je trouve cette position scandaleuse. Pierre Gattaz ne doit pas oublier qu'il y a encore une part des 40 milliards du crédit d'impôt compétitivité et emploi (CICE) qui doit être discuté lors du débat budgétaire de l'automne. S'il veut faire dans la menace, certains députés de la majorité useront des mêmes arguments pour reconditionner les 17 milliards restant à des contreparties en termes d'emploi.