L’écrivain Alexandre Prokhanov justifie les grandes purges staliniennes
Les jeunes patriotes le considèrent comme leur maître à penser, les défenseurs des droits de l’homme ne lui serrent pas la main. Alexandre Prokhanov, auteur de 30 romans et rédacteur en chef du journal nationaliste Zavtra, fait écrire sa biographie par un critique littéraire à la mode et répond aux attaques du Congrès des Juifs russes qui l’accusent d’incitation à la haine raciale. À près de soixante-dix ans, l’écrivain collectonne les papillons, dessine dans le style art naïf et travaille sur l’arrivée des émissaires du Hezbollah en Russie. À l’heure où des groupes ultra nationalistes défilent dans la capitale d’un pays qui se vante d’avoir vaincu le fascisme, le Courrier de Russie interroge leur inspirateur éclairé.
Le Courrier de Russie : Que pensez-vous de l’état russe ?
Alexandre Prokhanov : Il n’existe pas dans le monde un meilleur état. L’état de Eltsine était aussi parfait que celui de Staline ou de Nicolas II. Il n’est rien de plus beau que l’histoire du pouvoir russe. Dans sa totalité. On ne choisit pas son état. On naît en son sein.
LCDR : La Russie n’a donc pas à rougir de certains moments de son histoire ?
A.P. : Non. Aucun. Il ne s’agit que de grâce divine. Le joug tataro-mongole était magnifique. Il n’y a rien de plus beau que les troubles. Révolutions. Camps de concentration. Tous ces banissements. Massacres. Changements de régime. Eltsine ivre qui fait revenir les troupes russes stationnées dans les pays de l’ex-bloc soviétique. Mikhaïl Gorbatchev qui trahit la Russie. Non. Décidément, l’histoire russe n’a connu aucun événement regrettable.
LCDR : Que voyez-vous de « beau » dans les goulags ?
A.P. : Ah ! Mais c’est par leur moyen que Dieu nous fait subir des supplices afin que nous devenions des martyrs. La petite morale bourgeoise, mesquine, empêche de comprendre ce phénomène. Mais si vous êtes mystique, métaphysicien, si vous appartenez à l’ordre des franciscains ou des dominicains, si vous êtes carmélite, si vous imaginez un peu qui est Saint François d’Assise ou Serge de Radonège, il vous devient évident que la souffrance est un grand bien pour l’âme. Prenez l’Eglise orthodoxe russe. Au XIXème siècle, c’était une église obèse qui ne voyait plus les cieux, qui s’adonnait à la cupidité. Mais quand le mal est venu, quand on a commencé à détruire les temples et à fusiller les prêtres, plusieurs de ses serviteurs obèses sont devenus des saints. Avant la mort, ils ont béni leurs bourreaux.
LCDR : Et dans quel état l’Eglise orthodoxe russe se trouve-t-elle actuellement ?
A.P. : Elle tente d’augmenter sa puissance et se développe de façon très extensive. Nombreux sont ceux qui lui reprochent de représenter les intérêts des riches et non ceux des pauvres. Mais après l’immense déclin qu’elle a subi, après le temps où ses paroisses se réduisaient à une dizaine, elle doit aspirer à l’épanouissement, et cela lui prend toutes ses forces. Elle ne brûle effectivement pas par le feu de sa foi. En revanche, plus il y aura de monastères, plus on aura de saints. C’est au sein de l’église que l’âme russe trouve aujourd’hui abri de tout ce qui la blesse et la souille.
LCDR : Et en Union Soviétique, quand les églises n’étaient pas les lieux les plus fréquentés du pays, où l’âme russe trouvait-elle abri ?
A.P. : Elle s’est concentrée dans la victoire de mai 1945. L’événement est une église en soi, immense, colossale, bâtie par les hommes soviétiques. La Russie des tsars est morte justement car elle avait perdu l’âme russe. Rappelez-vous l’histoire russe du début du XXème siècle. C’est une succession de défaites ! D’abord, lors de la guerre russo-japonaise, ensuite pendant la première guerre mondiale. L’empire blanc était dans une impasse. Les intellectuels ne voulaient rien avoir de commun avec le pouvoir. Les artistes créaient des oeuvres où l’âme russe ne trouvait pas sa place. Alors, cette dernière s’est fait pousser des ailes rouges et s’est envolée. Elle est tombée dans le piège de la guerre civile mais Staline l’en a fait sortir. Il a transformé la Russie en une grande puissance où les talents russes se sont épanouis. Des paysans qui labouraient la terre devenaient chercheurs et cosmonautes. Ensuite, ils ont pris Berlin ! De 1945 aux années 1970, du point de vue spirituel, la Russie fut le plus grand pays du monde.
LCDR : Et que s’est-il passé ensuite ?
A.P. : Ensuite, des vers sont venus. De petits vers qui dorment la nuit et qui, dès qu’il commence à faire chaud, se mettent à grignoter la pomme russe. Et c’est alors que l’empire succombe.
LCDR : Qui sont ces vers ?
A.P. : Les adeptes des idées libérales. Les ennemis de la centralisation russe, qui seule permet de rassembler des territoires, d’accumuler des ressources. C’est l’empire qui rend possible la construction de Saint-Pétersbourg ou la découverte du pôle Nord... Mais le centralisme a rarement la vie longue. À la moindre marque de faiblesse, des voix s’élèvent qui réclament la liberté. Des libres-penseurs qui exigent plus que la simple possibilité de publier leurs idées dans la presse. Ce sont des gens qui ne souhaitent pas vivre dans un empire et appellent à le disloquer en quatre vingt états indépendants, sous prétexte que cela facilitera leur intégration dans l’Union Européenne... Mais, d’après une loi curieuse, quand les forces libérales entrent en vigueur en Russie, une autre force fait remonter le centralisme à la surface.
LCDR : Quel moment historique vivons-nous actuellement ?
A.P. : Nous avons survécu aux années 1990 qui nous ont transformés en cochons. Ensuite, Poutine est arrivé. Il a fait revenir la Russie dans le contexte impérial, mais il a conservé une économie néo-libérale qui ronge les racines de notre état, le cinquième empire comme je l’appelle. Pour que le régime impérial actuel réalise pleinement son potentiel, la Russie doit se développer, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
LCDR : Dans quelle direction doit-elle se développer ?
A.P. : Dans une alternative à la direction occidentale. La Russie doit redevenir un pays de créateurs, de héros et de chercheurs. Elle ne doit pas se mesurer au nombre de ses cuvettes de wc mais à celui de ses vaisseaux spatiaux. Elle ne doit pas aller gaspiller son argent à Courchevel, en compagnie de femmes aux pubis dorés, mais investir dans la résolution des pro-blèmes extrêmement complexes, comme la victoire sur la mort. Ces objectifs doivent mobiliser les Russes pour la création d’une grande science, d’une grande culture et d’une grande église.
LCDR : Qu’est-ce qui empêche la Russie de se développer ?
A.P. : Tous les gens rassasiés, lourds et dénués de spiritualité que l’on trouve au pouvoir.
LCDR : Quel avenir voyez-vous pour la Russie ?
A.P. : Si les contradictions entre les différentes couches de la population s’intensifient, seule une révolution pourra les résoudre. Je crains sa force destructrice, mais je vois qu’elle approche à chaque seconde.
LCDR : Quand devrait-elle commencer ?
A.P. : Dans un quart d’heure environ. Vous aurez juste le temps de finir votre thé et vous verrez des cheveaux rouges entrer dans la salle.
LCDR : Rouges ? La révolution sera-t-elle socialiste ?
A.P. : Certainement. Aujourd’hui le monde n’a le choix qu’entre le fascisme et le socialisme. Le projet libéral est mort. Il a créé une surhumanité qui dévore les ressources du monde, laissant un grand terrain vague derrière elle. Il faut le délaisser complètement, comme on l’a fait déjà avec l’Afrique, ou bien le reconstruire d’après les paramètres de la justice universelle, voilà le nouveau socialisme du XXI siècle.
LCDR : A vous en croire, les Russes ne sont capables d’exploits que sous un régime impérial. Est-ce vrai pour d’autres nations également ?
A.P. : L’histoire universelle oblige à répondre oui. Regardez les Etats-Unis. Ils ont affirmé leur puissance uniquement dans le contexte impérial. Le jour où ils arrêteront d’être un empire, ils se transformeront en un tas de déchets dont personne ne voudra. La France a aussi connu ses heures de gloire quand elle était un empire, royal ou napoléonien. Le gaullisme a été une tentative ratée pour restaurer les principes spirituels qui fondent un régime impérial. À l’heure actuelle, la France fait de la peine. C’est un pays en perte d’identité qui subit une arabisation intense. Notre-Dame de Paris a toutes les chances de devenir un jour une mosquée. L’avenir de la France se joue entre une dictature fasciste, comme moyen de sauvegarder le patrimoine français, et la transformation en une masse informe. D’ailleurs, c’est un choix auquel toute l’Europe est actuellement confrontée.
LCDR : Qu’est-ce que l’empire d’après vous ?
A.P. : C’est une union harmonieuse d’espaces, de peuples, de cultures et de religions ayant pour but de produire un effet créateur maximal. C’est justement ce que l’empire russe représente.
LCDR : Qu’en est-il de la liberté individuelle, inévitablement opprimée sous un régime impérial ?
A.P. : L’individu ne peut réaliser pleinement son potentiel que dans un empire. En dehors, il se transforme en un consommateur qui n’a qu’une seule liberté, celle des membranes muqueuses. La liberté est une formule qui permet aux uns de devenir riches et transforme les autres en esclaves. Le monde n’est pas fondé sur les principes de la liberté, mais sur ceux de la justice.
LCDR : Et du temps de Staline, avait-on affaire à la justice ?
A.P. : La justice s’exprime en termes de résultats, qui seuls comptent pour l’histoire. Pour remporter la victoire de 1945, le peuple russe a dû parcourir en cinq ans la distance d’une centaine d’années. Il ne l’aurait jamais fait si l’on n’avait pas opprimé sa liberté. Dans le cas contraire, on n’aurait eu que des fours crématoires partout. Et, à la place de Moscou, il y aurait eu un lac, comme l’opération Barbarossa le prescrivait.
LCDR : Pendant la guerre, les gens savaient au moins que leurs sacrifices n’étaient pas vains. Mais quelle justice universelle voyez-vous dans les purges, les goulags, les répressions ?
A.P. : En 1937, Staline a exterminé la vieille garde de Lénine, des bourreaux qui avaient fusillé des paysans et des prêtres. S’il ne l’avait pas fait, le pays aurait sombré dans une nouvelle guerre civile, déchiré entre les partisans de Trotski et ceux de Boukharine. Les purges étaient nécessaires pour mobiliser au maximum la population, pour la préparer à la guerre. Et la technique a donné des résultats. Les gens se paraient de grenades et se jetaient sous les chars...
LCDR : Voulez-vous dire que, sans la répression, les Russes n’auraient pas remporté la victoire ?
A.P. Très précisément.
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