Jean-Loup Izambert, journaliste d’investigation indépendant, publie une nouvelle enquête inédite aux éditions Carnot, ONU violations humaines, dans lequel il met à nu l’organisation internationale. Ce qu’il nous fait découvrir derrière les belles façades de marbre et de vitres, au-delà des couloirs interdits au public ne manque pas de nous interpeller : l’ONU peut-elle encore être réformée ? Il a accepté de nous recevoir et de répondre à nos questions.
Vous enquêtez sur les banques françaises en ne vous arrêtant pas au seul aspect des « affaires » mais en analysant leur fonctionnement et leurs rapports avec le pouvoir politique. Pourquoi ce centre d’intérêt et cette démarche ?
Les banques et les réseaux financiers internationaux sont le coeur du capitalisme. C’est par elles que transitent chaque jour une manne de mille trois cent milliards de dollars de capitaux vers les marchés des changes - près de cinq fois le budget annuel de la France -, par elles que sont gérés plus de deux mille milliards de dollars dans les places offshore qui échappent ainsi au contrôle des peuples qui créent ces richesses. Or, peu d’informations paraissent sur leur fonctionnement, leurs dirigeants et les nébuleuses de leurs sociétés. Il ne faut pas s’en étonner quand nombre de directeurs de médias siègent souvent dans les conseils d’administration des sociétés d’édition aux côtés des banquiers auxquels ils appartiennent. Le silence des médias français sur la réunion du club de Bilderberg qui s’est tenue du 15 au 18 mai derniers à l’hôtel Trianon Palace de Versailles et où se sont retrouvés notamment des chefs d’Etats, des financiers et dirigeants de multinationales est caractéristique de cet état de fait. Pour illustrer mon propos je dirai, par exemple, qu’il est plus facile dans une affaire comme celle de ventes d’armes par le gouvernement français à Taïwan de « pisser » de la copie sur le prix d’une paire de chaussures de l’ancien ministre Roland Dumas que de démonter les mécanismes qui ont permis à des milliards de francs de transiter entre plusieurs pays, avec le concours tout particulier d’une banque française, entre différents acteurs et pour « arroser » les comptes de diverses personnes.
Comment en êtes-vous venu à cet engagement ?
Comme journaliste, j’ai horreur du silence sur les choses essentielles. Mon engagement consiste à essayer de comprendre comment fonctionne la grande bourgeoisie, quels sont ses centres de pouvoir, ses réseaux politiques et financiers, et à porter ces éléments à la connaissance du plus grand nombre. Il s’agit d’éclairer sur les responsables de la crise, de favoriser la prise de conscience et l’action sous toutes ses formes. Trois exemples : qui a parlé en France du plus grand krach boursier contemporain survenu à Genève et impliquant quarante banques européennes en principal dans une faillite de près de vingt milliards de francs sans qu’aucune - exception faite du Crédit Lyonnais en raison du plan de sauvetage que ses dirigeants négociait alors avec le gouvernement français sous l’œil attentif de Bruxelles - ne dépose plainte ?
Qui a évoqué le cas du Crédit Agricole dont les dirigeants spolient des générations d’agriculteurs et de sociétaires en introduisant en Bourse le capital qui leur appartient sans leur accord et au mépris de l’opposition du comité d’entreprise de la banque et de la législation bancaire ? Voilà pourtant une question qui concerne près de cinq millions cinq cent mille sociétaires de la banque et bien au-delà !
Enfin, dans l’affaire du Crédit Lyonnais et du Crédit Agricole, qui évoque les liens entre banquiers, pouvoir politique et magistrature ? Là encore, silence sur les complicités qui oeuvrent dans l’ombre à la survie d’un système en crise. Le fait que les activités bancaires échappent au contrôle des producteurs a pour conséquence les cortèges de drames, le chômage, la production nationale vendue aux marchands du temple, des millions de vies gâchées, ces suicides silencieux et répétés de région en région inhérentes au capitalisme et à ses banksters. Qui à la France au cœur ne peut rester indifférent !
Vous publiez aujourd’hui ONU Violations humaines à la fin de la guerre d’Irak, récit de la première investigation au sein de l’organisation internationale. Pourquoi ce livre maintenant et pourquoi l’ONU ?
D’abord la guerre contre la République Irakienne n’est pas terminée. Elle continue. La République Irakienne est aujourd’hui un pays occupé par des puissances étrangères qui s’efforcent de mettre en place un gouvernement collaborationniste avec l’objectif de piller ses richesses. Les patriotes et les démocrates irakiens doivent maintenant s’organiser dans la résistance afin de chasser les occupants. L’heure est au « coup de feu » contre les agresseurs à l’exemple du militant communiste Pierre Georges dans la France du 21 août 1941 occupée par les nazis.
J’ai commencé mon investigation bien avant le déclenchement ouvert des hostilités. Il était nécessaire, avec la période dans laquelle nous entrions, de dénoncer le rôle de l’ONU dans le pillage de la République Irakienne et surtout son inutilité sous sa forme actuelle. Bafouant sa propre charte et les décisions de son propre Conseil de sécurité, l’ONU a laissé se mettre en place un blocus criminel contre l’Irak, un sabotage prémédité de son système économique et social, laissé faire pendant des mois et des mois des bombardements répétés des populations civiles sans la moindre sanction contre les criminels de guerre au pouvoir à Washington et à Londres. Savoir ce qui se passe en interne aide à comprendre comment nous en sommes arrivés à la situation internationale actuelle.
Vous abandonnez donc le terrain bancaire et financier pour les organisations politiques du capitalisme ?
Non. Les deux sont étroitement imbriqués et comme je l’explique dans mon livre, les décisions importantes prises à l’ONU sont préparées ailleurs, dans une multitude de clubs et essentiellement en fonction des intérêts américains. L’ONU est l’une des organisations internationales par laquelle les gouvernements américains - peu importe qu’ils soient « républicain » ou « démocrate » puisqu’ils défendent les mêmes multinationales - tentent d’imposer leur diktat. Depuis 1990, le Conseil de sécurité de l’ONU est devenu un « bureau yankee » tant ses cinq membres permanents se couchent devant les exigences de Washington. Quant à son Assemblée générale ce n’est plus qu’une chambre d’enregistrement dont les représentants des peuples ne sont même pas élus et ne rendent de comptes à aucun parlement. Par ailleurs, n’oublions pas que l’ONU compte en son sein le Groupe de la banque mondiale auquel s’ajoutent notamment le Fonds monétaire international (FMI) et l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui coopère avec l’ONU. Là aussi, les américains exercent toutes sortes de pressions. Il faut en finir avec l’image de l’ONU qui serait une organisation respectable où les peuples décideraient du sort du monde. Nous sommes aujourd’hui bien loin des nobles principes qui ont présidé à la naissance de l’ONU. Aussi ne faut-il pas s’étonner quand Jacques Vigne, l’un des fondateurs de New Wood, premier syndicat de l’ONU, me déclare que « l’ONU est l’incarnation de la violation des droits de l’homme ».
Comment cela ? Quel enseignements tirez-vous de votre enquête sur l’ONU ?
D’abord, la situation de l’ONU : une organisation vassalisée par les pays anglo-saxons, Etats-Unis en tête qui, ainsi que je le démontre, se livrent à l’espionnage, à la désinformation et à un chantage diplomatique permanent contre l’organisation. Ensuite cette hégémonie des Etats-Unis a des conséquences sur son fonctionnement : situation catastrophique de l’emploi au sein de l’ONU et de ses institutions spécialisées, harcèlement moral et sexuel érigé parfois en méthode de management sans parler de l’esclavage pratiqué au sein de certaines missions diplomatiques ou des abus fréquents du type « sexe contre nourriture » pratiqués par des « soldats de la paix ». La situation est telle que selon une enquête interne de l’Organisation internationale du travail dans trente-deux organisations du système des Nations Unies, 47 % du personnel se dit préoccupés par la violence ! Tout cela conduit à un bilan catastrophique : trois milliards d’habitants sur six qui « vivent » avec moins de deux dollars par jour, une personne qui meurt de faim toutes les quatre secondes, un milliard de personnes qui ne savent ni lire, ni écrire leur nom pour ne prendre que ces chiffres. Et la situation du monde s’est aggravée puisque le revenu par habitant est aujourd’hui plus bas dans quatre-vingts pays qu’il y a dix ans. Ainsi que je l’explique, la satisfaction des besoins essentiels des populations des pays dits « en voie de développement » est estimée à quarante milliards de dollars par an. Dans le même temps, le coût de la guerre contre l’Irak est estimé pour les seuls Etats-Unis à un minimum de quatre-vingts milliards de dollars par mois ! L’ONU a fait un choix contraire aux intérêts des peuples le 17 mars 2003, désertant le camp de la paix pour celui de la guerre et laissant la place libre aux agresseurs de la République Irakienne. Dans ces conditions, la question d’une réforme profonde de l’ONU se pose avec force, rétablissant les peuples dans leurs droits ainsi que le demande depuis des années le Groupe 77 qui comprend cent trente-trois pays et que le Secrétaire général Kofi Annan se refuse toujours à entendre, mais faut-il s'en étonner de la part d'un homme que les américains imposèrent en 1996 à la tête de l'ONU ?...
(encadré) Qui est Jean-Loup Izambert ?
Issu de l’enseignement agricole, diplômé de l’Ecole des hautes études internationales et de l’Ecole supérieure de journalisme, Jean-Loup Izambert pratique un journalisme militant. Chargé de communication de grandes entreprises, il devient collaborateur régulier du mensuel Les Echos puis de VSD. Il réalise plusieurs reportages exclusifs dans les domaines politique, économique et financier publiés en France et à l’étranger. Journaliste d’investigation, il est auteur de plusieurs ouvrages, Le Krach des 40 banques (Editions du Félin en 1998), Le Crédit Agricole hors la loi ? (2001), Crédit Lyonnais, la mascarade (2003) et ONU, violations humaines (2003) tous les trois aux éditions Carnot.