L’Allemagne toujours intransigeante face à la Grèce
Wolfgang Schäuble, le ministre des finances allemand, souhaite-t-il bouter la Grèce hors de la zone euro ? Jeudi 19 février, sa réaction extrêmement sévère aux dernières propositions d’Athènes, a en tout cas fait voler en éclat l’unité des dirigeants de la zone euro qui avait prévalu jusqu’ici face à la Grèce et contraint la Commission européenne à faire le grand écart.
Unies face au président russe Vladimir Poutine, la France et l’Allemagne sont divisées face à Alexis Tsipras, le premier ministre grec. Signe de cette tension : avant le déjeuner que la chancelière allemande Angela Merkel devait avoir à l’Elysée, vendredi, les conseillers du président de la République étaient prêts à évoquer en off, avec la presse, tous les sujets à l’exception d’un seul : la Grèce.
Alors que vendredi devait également se tenir dans l’après-midi, à Bruxelles, un conseil des ministres des finances de la zone euro destiné à trouver un compromis avec la Grèce une semaine avant la fin de l’actuel plan d’aide à Athènes, les propos du premier ministre Manuel Valls, jeudi, indiquant qu’une « solution est possible et très rapidement », ne laissent aucun doute sur la divergence entre Paris et Berlin.
« Il manque toutes les mesures concrètes »
Plus exactement entre Paris et une partie du gouvernement allemand. Sigmar Gabriel, vice-chancelier, ministre de l’économie et président du parti social-démocrate a en effet pris ses distances avec son collègue des finances : une première depuis le début de la grande coalition en décembre 2013. La Grèce a fait selon lui « un pas énorme en acceptant qu’il n’y aurait pas d’aide sans programme ». Certes, selon M. Gabriel, la lettre n’est « pas suffisante », car « il manque toutes les mesures concrètes ». Néanmoins elle « doit être utilisée comme point de départ de négociations ».
Quelques heures plus tôt, jeudi, M. Schäuble avait frappé fort. A peine la lettre du ministre grec des finances Yanis Varoufakis au président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, était-elle connue que tombait la sentence. Cette lettre ne contient « pas de proposition de solution substantielle ». Elle ne porte, selon lui, que sur un financement-relais de six mois et « ne correspond pas aux critères définis lundi par l’Eurogroupe ».
Une réaction d’autant plus surprenante que la veille, le porte-parole du ministre des finances expliquait qu’il revenait aux experts de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne (BCE) et du Fonds monétaire international (FMI) d’étudier les propositions d’Athènes et d’en rendre compte à l’Eurogroupe.
Selon nos informations, cette réaction du ministère des finances est loin de faire l’unanimité. Même l’entourage de Mme Merkel serait réservé. Celle-ci a d’ailleurs eu – comme M. Hollande – un entretien téléphonique avec M. Tsipras, jeudi soir. Dans sa lettre, le gouvernement grec avait demandé une « extension » du programme de prêt en cours, alors qu’il avait longtemps exigé un nouvel « accord-relais » de quatre à six mois. Athènes accepte également la « supervision » de ses créanciers (Commission européenne, BCE et FMI), même si les Grecs ne veulent plus entendre parler du mot « troïka ».
Surtout, il s’engage à « financer pleinement toute nouvelle mesure tout en s’abstenant de toute action unilatérale qui saperait les objectifs budgétaires, la reprise économique et la stabilité financière », tout en introduisant une « flexibilité » permettant de revenir sur l’austérité.
« C’est un problème de confiance mutuelle »
Pourquoi M. Schäuble, profondément européen, a-t-il pris le risque de monter en première ligne contre Athènes ? Le ministre des finances a donné une partie de la réponse, jeudi soir, lors d’une rencontre avec son homologue portugais Maria Luís Albuquerque. « Ce n’est pas les règles qui importent. C’est la confiance. Ce n’est pas un problème de troïka. C’est un problème de confiance mutuelle. Celui qui détruit la confiance mutuelle détruit l’Europe », a dit le ministre. Or l’Allemagne ne fait pas confiance au duo que forment le premier ministre grec Alexis Tsipras et son ministre des finances Yanis Varoufakis.
L’alliance de Syriza avec un parti d’extrême droite, ses réclamations de dommages de guerre à Berlin et pour finir les caricatures comparant M. Schäuble à un nazi : tout cela a exaspéré les Allemands. 52 % jugent le comportement des deux hommes « insultant ». Une partie des conservateurs et certains médias comme la Frankfurter Allgemeine Zeitung semblent souhaiter une sortie de la Grèce de la zone euro. Vendredi, le quotidien Bild remercie au nom de l’Allemagne M. Schäuble pour sa fermeté.
En fait le ministère des finances avait déjà envisagé une sortie de la Grèce de la zone euro en 2012. Aujourd’hui, il est d’autant moins enclin à faire des concessions à M. Tsipras qu’il n’a aucune envie que celui-ci puisse se prévaloir d’un succès qui ne pourrait que donner un précieux coup de pouce à Podemos, le parti de la gauche radicale espagnole.
« Le gouvernement grec joue très mal son jeu »
D’ailleurs, l’Allemagne est soutenue par les gouvernements conservateurs en Espagne et au Portugal ainsi que par la Finlande et les Etats baltes. Jeudi, la ministre estonienne des finances, Maris Lauri, a brisé un tabou en déclarant, qu’une éventuelle sortie de la Grèce de la zone euro aurait « un faible impact sur la monnaie européenne ».
A-t-elle dit tout haut ce que l’Allemagne pense tout bas ? Chacun dément à Berlin cette hypothèse. Mais il y a des sceptiques. Et pas seulement à Athènes. Pour l’économiste Henrik Enderlein directeur de l’Institut Jacques Delors de Berlin « ce n’est pas dans l’intérêt du gouvernement allemand d’affaiblir la zone euro en poussant la Grèce à la sortie. Une sortie de la Grèce changerait la nature de l’union monétaire en profondeur. Ce qui pose problème c’est que le gouvernement grec joue très mal son jeu. Il ne parvient pas à créer de la confiance et s’est déjà isolé. Cela dit, rejeter l’ouverture grecque risque de fermer des portes et court le risque d’accélérer la fuite de capitaux qui pourraient se terminer par un “grexident”, un grexit par accident. »